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Dans le Gorgias, Socrate défend l’idée qu’un homme heureux est celui qui est capable de réguler ses désirs, de telle sorte qu’il ne sera pas l’esclave d’une recherche effrénée du plaisir. Se fondant sur une célèbre métaphore d’un tonneau qu’il s’agirait de remplir patiemment des biens les plus précieux et de consolider afin qu’il ne fuie pas, Socrate se voit pourtant opposer par Calliclès une conception plus hédoniste, selon laquelle le breuvage importe peu à condition d’avoir l’ivresse. L’iconoclasme moral de Calliclès, préfigurant la conception sadienne des plaisirs, consiste alors à montrer que l’homme doit rejeter une conception du bonheur uniquement fondée sur la mortification du corps. Le lien entre plaisir et bonheur est en ce sens ambigu. Il faut en effet problématiser la proximité entre les deux termes pour s’apercevoir de toute la difficulté de cette question. Si le plaisir désigne une satisfaction immédiate d’un désir, qui s’accompagne donc d’une sensation de bien-être ressentie par l’homme, le bonheur paraît alors dépendre du plaisir, puisqu’il désigne une satisfaction durable de l’homme, la seule différence entre les deux tenant au fait que le bonheur enjoint de privilégier les objets de satisfaction qui peuvent durer, alors que le plaisir privilégierait de son côté l’intensité immédiate de la satisfaction. Est-il pourtant possible de réellement dissocier les deux ? La conscience d’une peine à venir n’est-elle pas contraire avec le fait de profiter d’une satisfaction immédiate ? À l’inverse, l’intensité immédiate ne contribue-t-elle pas à la durabilité du plaisir, quand bien même certains déplaisirs succéderaient au plaisir lui-même ? Se trouve ici posée la question de savoir si l’homme peut choisir entre les causes de son plaisir et se rendre maître de ce qui ne paraît pourtant pas vraiment uniquement dépendre de lui, et venir partiellement de la dépendance de son corps à l’égard du monde extérieur. Nous nous efforcerons tout d’abord de montrer qu’il paraît impossible de dissocier plaisir et bonheur, dans la mesure où le bonheur semble résulter de la volonté de faire durer le plaisir. Néanmoins, nous en viendrons ensuite à montrer que cette conception hédoniste du bonheur correspond en fait à une confusion entre bien-être et bonheur, de laquelle il paraît possible de distinguer un véritable eudémonisme à portée morale, loin de l’urgence de l’hédonisme passionnel. Il nous faudra toutefois mettre en question cette dissociation, en montrant qu’elle relève d’une volonté d’imposer un code moral par nature étranger à la nature de la satisfaction de l’homme, et qui ne peut produire qu’un artefact de bonheur, entretenant l’homme dans une conception illusoire de son existence.
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