Tout a-t-il une raison d'être ?

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L'analyse du professeur


La situation tragique de Sisyphe est souvent présentée comme le modèle d’un raisonnement sur l’absurdité de l’existence humaine. L’homme vivrait à l’image de cette caricature : reproduisant sans cesse des gestes qui n’ont pas vraiment de sens, sans autre choix que de rester enfermé dans cette répétition incessante de sa vie. Pourtant, d’autres exemples littéraires ont tenté de manifester une révolte contre cette situation de répétition vaine : ceux de l’engagement qui, de Sartre à Malraux par exemple, ont ainsi défendu l’idée que l’homme se doit d’affirmer sa liberté pour sortir de la fatalité qui le détermine. La question « tout a-t-il une raison d’être » trouve ici toute son acuité : elle conduit en effet à poser la question de la justification de ce qui est, en suggérant que certaines choses pourraient ne pas se comprendre, ne pas s’entendre, ne pas satisfaire le besoin de sens qui habite l’homme. Se pose alors le problème de savoir ce qui échappe à la raison, et de comprendre pourquoi ? Faut-il y avoir les limites du rationnel ? La manifestation de la liberté ? Le propre du hasard inexplicable ou fondamentalement contingent ? La possibilité que la rationalité ne puisse exprimer totalement le sens de l’être semble ouvrir au débat de la différence de nature entre le réel et le rationnel. Nous nous attacherons ainsi à montrer tout d’abord que la tentative de donner une raison d’être à tout est un penchant naturel de la conscience. Nous constaterons toutefois que ce penchant naturel fait fi d’une finitude radicale de l’intelligence, souvent tenue en échec dans son projet de réalisation concrète. Cette second position nous conduira alors plus fondamentalement à interroger la possibilité et la viabilité d’une misologie, par laquelle la raison serait incapable de poser la question de l’être.

[...]

Plan proposé

Partie 1 : La conscience rationnelle des choses, et la volonté de système.

a - Je pense donc je suis.

Il semble impossible de nier le fait que la conscience de l’homme est un pouvoir de réflexion sur lui-même et le monde qui l’entoure. À cet égard, comme le signifie Descartes, la raison éclaire l’existence, et participe ainsi du projet idéal de donner un sens à tout.

b - La totalisation de l’expérience du réel par les lois de la science.

Il apparaît ainsi que la nature s’écrit « en langage mathématique » (Galilée), c’est-à-dire que tout peut avoir sa raison d’être, à condition de produire des lois de compréhension de l’être ayant la capacité de tout expliquer, de tout encadrer, et de tout englober. Cela ne signifie pas pour autant que tout est actuellement expliqué, mais que tout est explicable par des lois fixes et déterminées.

c - Le réel est rationnel.

Le système de la rationalité est donc un système hypothétiquement parfait, puisque le réel n’est qu’un pré-rationnel selon lequel ce qui est contingent n’a pas de statut ontologique parce qu’il n’a pas de statut cognitif. Comme le montre Hegel, le réel n’est compréhensible que sous la forme de l’analyse qu’en produit la raison.

Partie 3 : L’explication dans les limites de la simple raison.

a - La fuite du réel.

L’idéal d’une connaissance achevée reste toutefois très abstrait, et il semble que le connu repousse toujours plus les frontières du connaissable, voir les déplace. Le système de la connaissance apparaît donc comme un système d’hypothèses qu’il est constamment nécessaire de repousser et de modifier pour l’adapter aux exigences du réel (Hume).

La disparition du réel.

Plus gravement, certains phénomènes nous confrontent à l’absurde, à l’incohérence, aux perplexités de la raison. L’expérience de l’absurde, de l’impensable, théorique ou pratique, indique les limites d’une raison qui se laisse dépasser par la contingence et le divers (Nietzsche)

Les fragilités de la raison.

La raison elle-même a souvent alors tendance à se mentir, à projeter sa volonté de savoir sur ce qu’elle ne peut assimiler. De la conscience à l’inconscient, la raison d’être des choses est en ce sens une raison de se mentir ou de ne pas se satisfaire, comme en atteste la découverte freudienne de l’inconscient.

Partie 3 : La surdité de la raison

a - La raison comme vanité.

Il semble alors que la raison n’est qu’un pari vain de rationalisation du monde, qui détourne de la vraie vie, celle de la nature et de l’immédiateté, comme en témoigne le célèbre « Ôte toi de mon soleil » de Diogène.

b - La raison comme aliénation.

Plus profondément, la raison serait le moyen de l’aliénation de l’homme par l’homme, puisqu’elle fournirait aux plus puissants le moyen de justifier artificiellement leur domination sur les plus faibles ou les moins favorisés (Marx).

c - La raison comme vacuité.

Il ne resterait ainsi de la raison qu’une tentative de saisir un être qui y résiste par principe et toujours. La rationalité instrumentale ne serait alors qu’un exercice vain de domination ou d’ « arraisonnement », sans d’autre fin que la perte du sens et l’oubli de l’Être (Heidegger).