Sur quoi la légitimité de l’État se fonde-t-elle ?

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L'analyse du professeur


Si tout individu possède une conception propre du bonheur et fonde sa liberté sur cette représentation du bonheur, il semble que toute forme de limitation de la liberté individuelle ne peut qu’être indue. En d’autres termes, l’État est par définition illégitime dans la mesure où il définit des lois qui limitent les libertés individuelles. Cette analyse est cependant faussée puisqu’elle fait comme si un individu solitaire pouvait vivre librement, et qu’elle suppose que tout individu a une juste perception de ce qui est bon pour lui et n’a pas besoin ni d’être éduqué, ni même de prendre conscience par lui-même de ce qu’implique son existence sociale, pour parvenir à bien se conduire. Or, il est évident que l’existence en société est la condition d’une existence meilleure pour chacun, dans la mesure où le fait de s’entendre avec les autres assure un développement économique, une sécurité, un progrès culturel etc. Si les autres n’existaient pas, l’homme serait un animal réduit à une existence fragile et constamment menacée. Dès lors, l’État semble non seulement résulter d’une nécessité vitale pour l’homme, en tant qu’il a pour fonction de permettre l’organisation sociale en garantissant la sécurité de chacun, mais permettre un véritable progrès de chacun, en permettant à tous d’enrichir sa propre vie et de progresser vers des modalités d’existence plus subtiles. La question se pose alors de savoir comment l’État peut faire accepter aux individus la régulation de leurs libertés au profit d’une plus grande sécurité dans la réalisation de leurs projets personnels. Le paradoxe de ce sujet se fonde sur le constat que chacun est juge de son existence (et donc que personne ne peut lui imposer ses critères de jugement) et ne s’entend pas nécessairement avec autrui, tout en constatant qu’il faudrait qu’il s’entende avec lui pour accéder à une vie véritablement bonne.

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Plan proposé

Partie 1 : La légitimité de l’État se conçoit d’abord de façon négative.

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En effet, l’État semble absolument nécessaire parce qu’il permet d’imposer une vie sociale non conflictuelle, de réguler la violence naturelle des hommes.

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L’État est donc celui qui monopolise la violence pour arbitrer les conflits individuels et pacifier le rapport entre les individus : ce n’est qu’avec l’État que peut se fonder un critère de justice qui dépasse les jugements individuels et assigne tous les individus à la loi.

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En outre, c’est parce que l’État impose une loi qui est légitime au regard de la violence naturelle que toute légitimité pourra prendre son sens, dans la mesure où ce n’est que parce qu’une instance d’arbitrage existe et garantie à la fois le risque d’anarchie et la validité des conventions, que les individus seront en mesure de partager honnêtement des valeurs, ou de réfléchir aux moyens de s’entendre sur les conditions de la justice sociale (l’État est en ce sens un mal nécessaire qui permettra positivement de trouver les fondements de la légitimité).

Partie 2 : Toutefois, le mal nécessaire de l’État peut apparaître comme très problématique.

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En effet, la fonction d’arbitrage provisoire qui fonde l’État risque fort d’apparaître comme arbitraire si elle s’impose à des individus qui refusent fondamentalement d’en reconnaître la nécessité. Pourquoi par exemple le plus fort accepterait-il de réduire l’exercice de sa force au nom de règles qu’il ne trouve pas juste selon ses propres valeurs ?

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La légalité de l’État ne suffit pas, même provisoirement, à fonder sa légitimité. Elle requiert, plus fondamentalement, une procédure de légitimation de la loi et du système de droit.

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L’État n’est donc légitime que s’il met en place un fondement politico-juridique, c’est-à-dire s’il se fonde sur un contrat garantissant le fait que tous les individus sont d’accord pour reconnaître la nécessité d’une loi commune et de certains principes de fonctionnement, et pas seulement la nécessité d’une institution de régulation de la violence naturelle, quels que seraient les principes de fonctionnement de cette institution.

Partie 3

Si ce fondement contractualiste est celui qui marque l’avènement des démocraties modernes, qui reposent ainsi sur la procédure de légitimité qu’est l’attribution de droits égaux à chacun, il semble toutefois que le contrat n’est pas nécessairement suffisant.

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Ce n’est en effet pas parce que les individus sont d’accord sur des principes de fonctionnement, ou sur des modalités d’institution de l’État (comme la procédure du vote par exemple) qu’ils accepteront nécessairement les lois qui seront décidées par leurs représentants, qu’il jugeront nécessairement comme légitime l’expression légale du contrat politique.

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Ils peuvent en effet toujours, même dans le contexte démocratique, en contester la légitimité parce que leur propre sentiment de justice, et leurs critères particuliers de valeurs les conduisent à des conclusions morales qui se heurtent aux solutions légales.

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L’État, pour être alors pleinement légitime, doit donc prendre en compte les convictions morales des individus pour fonder ses principes et son action, ce qui signifie qu’il doit s’efforcer de fonder sa légitimité sur le partage de valeurs morales consensuelles.