L'analyse du professeur
Cette question conduit à réfléchir au rapport, en l’homme, entre nature et culture. Plus exactement, le problème est de savoir si le propre de l’homme est d’échapper à une nature animale (instinctive et sensible) par accéder, au moyen de l’éducation, à une nature humaine (cultivée et rationnelle) dont le propre serait alors l’intelligence et la capacité à raisonner. Ce problème suppose donc de trancher au sujet d’une double définition possible de l’homme, comme existant de façon purement corporelle et animale d’une part, mais comme pouvant exister de façon rationnelle c’est-à-dire comme pouvant sortir d’une existence immédiate soumise aux pulsions et désirs individuels et accéder à une existence supérieure. À ce titre, la question de savoir ce que serait cette nature supérieure se pose. Faut-il comprendre l’homme éduqué comme un citoyen et faut-il penser que le fait d’éduquer les hommes les conduiront tous à devenir identiques et à se comporter de façon analogue ? Ou faut-il, à l’inverse, penser que l’homme cultivé, en cessant d’être purement animal, devient pourtant une personne dotée d’une identité propre qui ne se résorbe pas à celle de son voisin, et se définit par une culture, un caractère, une sensibilité purement personnelles et particulières à lui ?
[...]
Plan proposé
Partie 1
a
Il est d’abord possible de s’appuyer sur une définition du naturel comme capacité pour un homme seul à satisfaire les besoins d’une existence animale,
b
pour ensuite montrer que les critères de cette existence animale entrent en contradiction avec une existence sociale éduquée comprise comme capacité à composer et à communiquer avec les autres hommes.
c
Le fait d’éduquer l’homme consisterait donc à supprimer le naturel, c’est-à-dire supprimer ce qui de façon naturelle pousse l’homme à être un animal perpétuellement en conflit avec les autres.
Partie 2
a
Toutefois, cette première lecture peut sembler insuffisante puisque l’opposition entre nature et culture est caricaturale d’un double point de vue. D’une part, il n’est pas certain que l’homme à l’état naturel soit forcément une bête sauvage sans aucune intelligence, c’est-à-dire dépouillé de toute tendance à la sociabilité et incapable de percevoir les lois nécessaires à sa cohabitation avec son prochain.
b
D’autre part, le naturel de l’homme est peut-être justement moins d’être une bête que d’être cet être dont la propriété fondamentale est de réfléchir et de s’adapter au monde qui l’environne en trouvant les modalités d’une existence harmonieuse avec les autres.
c
La nature humaine se caractériserait alors comme une tendance à la culture, et l’éducation ne supprimerait pas tant le naturel qu’elle ne le réaliserait.
Partie 3
a
La question se pose, néanmoins, de savoir si une telle perception de la nature humaine est réaliste et même souhaitable. En effet, renoncer à une nature animale pour définir exclusivement l’homme comme un être culturel conduit à faire de lui un être purement rationnel et raisonnable dont l’existence se fonde sur la perception du devoir à l’égard des autres au mépris de son intérêt propre.
b
Or, il semble nécessaire de reconnaître le fait que, pour égaux qu’ils se veulent, les hommes n’en sont pas moins tous naturellement différents et riches parce que différents.
c
Dès lors, concevoir l’éducation comme une suppression pure et simple d’un naturel compris seulement comme naturel animal revient à supprimer l’identité de chacun au profit d’un modèle unique qui s’apparente au modèle du citoyen. Autrement dit, il est peut-être possible de penser que l’éducation doit réaliser la nature humaine, en tant que cette nature est purement subjective et n’est ni radicalement animale, ni purement culturelle.