Rousseau, L'Emile (extrait)

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L'analyse du professeur


De Platon à Piaget, ou d’Erasme à Rousseau, l’éducation des enfants est un sujet de réflexion qui a souvent fait l’objet des préoccupations des philosophes et des écrivains, à tel point qu’il semble difficile de comprendre si les différentes théories de l’éducation permettent de toucher à une objectivité de la mission éducative, ou ne font au contraire que renforcer le sentiment de la relativité de cette mission. Le texte qui est ici soumis à notre étude est extrait de L’Émile de Rousseau, ouvrage du philosophe de Genève qui passe pour être l’un des plus importants traité de réflexion sur la condition de l’enfant, et les modalités de son passage à l’âge adulte. Rousseau y défend une thèse qui peut sembler curieuse, notamment pour qui voudrait voir en lui un défenseur forcené de la liberté individuelle, au premier rang de laquelle la liberté de l’enfant considéré comme homme en devenir. Rousseau montre en effet qu’il s’agit de discipliner l’enfant, et de le contraindre à une liberté, en lui apprenant à ne pas se laisser aller à ses penchants premiers et naturels. Nous nous efforcerons ainsi de montrer que ce texte repose d’abord sur une analyse des motivations comportementales de l’enfant, qui conduit ensuite à proposer une explication des limites naturelles de la liberté de l’enfant à partir de laquelle enfin se trouve préconisé un type d’éducation.

[...]

Plan proposé

Partie 1

a

Tant que les enfants ne trouveront de résistance que dans les choses et jamais dans les volontés, ils ne deviendront ni mutins ni colères, et se conserveront mieux en santé. (…). Ce premier constat est un moyen de distinguer, dans le comportement possible de l’enfant, deux types de situation : la résistance des choses et la résistance des volontés. Le premier type de résistance paraît ici moins problématique que le second, puisque la résistance des choses ne provoquera pas de réaction caractérielle de la part de l’enfant, alors que la second énervera l’enfant, et aura pour conséquence de miner sa santé. Cette différence n’est pas expliquée, mais on peut supposer que la différence entre chose et volonté vient du fait que la chose est présente matériellement et concrètement, alors que la volonté est moins facile à saisir et à comprendre (et donc plus difficile à incarner pour l’enfant).

b

Les premiers pleurs des enfants sont des prières : si l'on n'y prend garde, ils deviennent bientôt des ordres ; ils commencent par se faire assister, ils finissent par se faire servir. Les pleurs de l’enfant, qui sont des marques d’énervement, sont donc plus déclenchés par une incompréhension, et une volonté de triompher d’une résistance : il faut les interpréter comme des demandes (un désarroi) susceptible de se transformer rapidement en exigences, du fait de l’absence de patience des enfants. On devient ici que l’enfant est un tyran en puissance, qui ne supporte pas de voir sa volonté contrariée.

Partie 2

a

Ainsi de leur propre faiblesse, d'où vient d'abord le sentiment de leur dépendance, naît ensuite l'idée de l'empire et de la domination ; Il y a ici un paradoxe de la volonté, telle qu’elle se forge et se détermine. La résistance à la volonté est d’abord à l’origine d’une conscience de la dépendance, mais devient ensuite à l’origine d’une conscience de la force et de l’autorité dominante. C’est en effet selon une même logique que l’individu se trouve soumis à une contrainte (il est dépendant) et cherche à s’en libérer (s’affirmer contre cette contrainte).

b

mais cette idée étant moins excitée par leurs besoins que par nos services, ici commencent à se faire apercevoir les effets moraux dont la cause immédiate n'est pas dans la nature ; La seconde réaction (la volonté de domination) n’est toutefois pas dans la nature, puisqu’elle est une réaction médiate, qui se crée selon le jugement et de façon culturelle : il s’agit d’un effet moral d’une contrainte naturelle.

c

et l'on voit déjà pourquoi, dès ce premier âge, il importe de démêler l'intention secrète qui dicte le geste ou le cri. La capacité à distinguer l’origine des réactions sera déterminante pour la bonne compréhension de l’éducation. Il faut en effet bien observer l’enfant afin de savoir comment déterminer ses propres réactions par rapport à lui. Méconnaître le stade culturel et le stade naturel, cela revient à se tromper sur ce qu’il faut faire, et sur la manière d’éduquer l’enfant.

Partie 3

a

Quand l'enfant tend la main avec effort sans rien dire, il croit atteindre à l'objet parce qu'il n'en estime pas la distance ; il est dans l'erreur ; mais quand il se plaint et crie en tendant la main, alors il ne s'abuse plus sur la distance, il commande à l'objet de s'approcher, ou à vous de le lui apporter. L’exemple que prend ici Rousseau est une manière d’illustrer la différence entre une réaction naturelle (l’effort qui rencontre la résistance de la chose) et une réaction culturelle (la plainte contre la résistance).

b

Dans le premier cas, portez-le à l'objet lentement et à petits pas ; dans le second, ne faites pas seulement semblant de l'entendre : plus il criera, moins vous devez l'écouter. À ces deux types de réactions s’articulent deux types d’attitudes éducatives. La première attitude est celle qui porte à confronter l’enfant à la contrainte et aux moyens de la dépasser (la culture de l’effort et l’apprentissage de l’autonomie). La seconde attitude est celle qui consiste à confronter l’enfant aux limites de ses caprices, afin de lui apprendre la contrainte et la limitation naturelle (l’apprentissage de la frustration).

c

Il importe de l'accoutumer de bonne heure à ne commander ni aux hommes, car il n'est pas leur maître, ni aux choses, car elles ne l'entendent point. Les deux attitudes éducatives sont ainsi essentielles pour montrer à l’homme qu’il doit se comporter en prenant conscience des conditions réelles de son action, et sans faire comme s’il était seul au monde.