Rousseau, Emile, quatrième livre (extrait)

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


Les Confessions de Rousseau est, entre autres raisons, resté célèbre pour la façon dont l’auteur décrit ses premières expériences sentimentales et morales. Tant dans l’épisode du « ruban volé » que dans celui du « peigne cassé », le jeune Jean-Jacques se fait l’avocat d’une nature humaine spontanément morale, qui peut juger par elle-même de l’injustice qui l’entoure. Dans le texte qui est ici soumis à notre étude, tiré du quatrième livre de l’Émile, Rousseau analyse de façon plus approfondie la naissance de la conscience du devoir moral, et les possibilités de le contrôler. Défendant la différence entre amour de soi et amour propre, R en vient ainsi à montrer que la société est fondamentalement à l’origine du développement des passions négatives en l’homme. Nous nous attacherons ainsi à analyser ce texte en montrant tout d’abord qu’il déconstruit le processus de sociabilité afin de saisir l’origine des sentiments moraux. Nous en viendrons ensuite à montrer que R distingue amour de soi et amour propre afin de préconiser une régulation sociale du second.

[...]

Plan proposé

Partie 1

a - L’enfant auto-centré.

« Le premier sentiment d’un enfant est de s’aimer lui-même ; et le second, qui dérive du premier, est d’aimer ceux qui l’approchent ; car, dans l’état de faiblesse où il est, il ne connaît personne que par l’assistance et les soins qu’il reçoit ». R montre ici de quelle manière l’enfant prend connaissance du monde qui l’entoure : son existence est d’abord auto-centrée, c’est-à-dire qu’elle est d’abord tournée vers lui-même et ne se développe qu’en fonction de cette nécessité naturelle première (dépendance physique).

b - La naissance de l’amour.

« D’abord l’attachement qu’il a pour sa nourrice et sa gouvernante n’est qu’habitude. Il les cherche, parce qu’il a besoin d’elles et qu’il se trouve bien de les avoir. ll lui faut beaucoup de temps pour comprendre que non seulement elles lui sont utiles, mais qu’elles veulent l’être ; et c’est alors qu’il commence à les aimer ». R abord ici le problème du développement de l’enfant, pour remarquer que ce développement est lent, c’est-à-dire que la compréhension de la relation sociale nécessite du temps et des conditions de recul pour se réaliser. En ce sens, l’amour résulte d’une analyse critique du rapport de dépendance à l’autre.

c - Le fondement de la sociabilité.

« Un enfant est donc naturellement enclin à la bienveillance, parce qu’il voit que tout ce qui l’approche est porté à l’assister, et qu’il prend de cette observation l’habitude d’un sentiment favorable à son espèce ; mais, à mesure qu’il étend ses relations, ses besoins, ses dépendances actives ou passives, le sentiment de ses rapports à autrui s’éveille, et produit celui des devoirs et des préférences ». Une fois dépassée la dépendance immédiate, et compris le rapport d’obligation induit par cette dépendance, le dernier stade du développement réel de la relation sociale est de l’ordre moral. Il s’agit d’atteindre la conscience de l’obligation et du devoir, qui est la règle à laquelle chacun se soumet lorsqu’il a compris que sa relation à autrui le rendait redevable.

Partie 2

a - La contradiction entre amour de soir et amour propre.

« L’amour de soi, qui ne regarde qu’à nous, est content quand nos vrais besoins sont satisfaits ; mais l’amour-propre, qui se compare, n’est jamais content et ne saurait l’être, parce que ce sentiment, en nous préférant aux autres, exige aussi que les autres nous préfèrent à eux ; ce qui est impossible ». La différence entre l’amour de soi et l’amour-propre est que le premier ne dépend que de soi, là où le second dépend du rapport à l’autre. En ce sens, l’amour de soi est fonction d’un besoin (il est satisfait si le besoin qui en est à l’origine est satisfait), alors que l’amour propre n’a pas vraiment de limite (il est impossible de le satisfaire, puisque cette satisfaction est dictatoriale, et exige d’autrui qu’il se sacrifie pour nous).

b - Les passions sociales, et la naissance de la méchanceté.

« Voilà comment les passions douces et affectueuses naissent de l’amour de soi, et comment les passions haineuses et irascibles naissent de l’amour-propre. Ainsi, ce qui rend l’homme essentiellement bon est d’avoir peu de besoins, et de peu se comparer aux autres ; ce qui le rend essentiellement méchant est d’avoir beaucoup de besoins, & de tenir beaucoup à l’opinion. » La méchanceté humaine se développe d’abord en raison de l’existence sociale de l’homme. S’il est envisageable de réguler l’amour de soi (puisqu’il ne dépend que de nous), en revanche l’amour propre pose problème : c’est donc l’existence sociale qui s’avère particulièrement dangereuse, puisqu’elle soumet l’homme à des tentations renouvelées.

c - Réguler les comportements humains

« Sur ce principe il est aisé de voir comment on peut diriger au bien ou au mal toutes les passions des enfants et de hommes ». Si la formule de R reste ici assez obscure, elle signifie une tentative de contrôle des comportements, qui reviendrait vraisemblablement à lutter contre les tentations sociales à l’origine de l’hypertrophie de l’amour-propre. Il serait donc selon R envisageable de favoriser un usage positif du rapport à l’autre, en le mettant en garde contre l’absence de limite de l’amour-propre.