L'analyse du professeur
Le jour de la Révolution française, Kant interrompit sa promenade quotidienne, pourtant imperturbable depuis des décennies. L’événement fut tel qu’il marqua, pour le philosophe, la nécessité d’interrompre son quotidien, signifiant ainsi le choc intellectuel et physique créé par la nouvelle. Un événement semble à cet égard très relatif à la position de celui qui est concerné.
La définition de l’événement pose cependant problème. Il semble que le fait qui est ainsi désigné sort du lot des autres faits historiques par son importance, et ne peut être purement relatif au jugement de celui qui en prend connaissance. Cette particularité impliquerait alors qu’il est possible de dégager une universalité potentielle dans le jugement historique des faits. Comment une telle universalité est-elle possible ? Faut-il la considérer comme présupposée par le cours des évènements, c’est-à-dire dans l’importance causale du fait ? Ne dépend-elle pas plutôt des critères de jugement de ceux qui jugent l’histoire ?
Nous nous attacherons tout d’abord à montrer que l’événement historique est un fait qui a une importance causale indéniable, qui le détache des autres faits par les conséquences majeures qu’il implique. Nous en viendrons ensuite cependant à considérer que l’événement est dépendant de la narration de l’histoire, et se trouve ainsi relatif aux critères retenus pour construire le sens de cette histoire. Il nous apparaîtra enfin que l’événement est un pure fiction, qui ne traduit que l’absence de maîtrise de la mémoire humaine, qui a ainsi besoin de se voir signifier grossièrement le sens de l’histoire.
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Plan proposé
Partie 1 : L’événement, un fait historique marquant.
a - L’événement est une rupture.
Le choc de l’événement est spontané et immédiat : il surprend l’intelligence de celui qui le constate, et est amené immédiatement à lui accorder une importance puisqu’il trahit l’absence de prévision, et modifie ainsi la compréhension de l’histoire.
b - L’événement est central.
L’événement acquiert en outre son importance de ses ramifications en réseau. Il est massif, et implique une multitude de domaines ou de réalités connexes. L’événement devient une réalité historique incontournable, puisque tout semble alors prend sens par rapport à son avènement.
c - L’événement est conséquent.
Le fait évènementiel est exceptionnel par les conséquences qu’il implique : il est la cause d’une suite historique qui répond à sa logique et à ses caractéristiques. L’événement a donc des répercussions lointaines.
Partie 2 : L’événement, un élément constitutif d’une interprétation.
a - L’événement dans son histoire.
Le fait qui se produit est toutefois en quelque sorte tributaire d’une compréhension historique préalable. Il signifie en fonction de ce qu’il modifie, mais apparaît logique au regard de ce qui le précédait, et n’a d’importance qu’en fonction de la modification du sens préétabli.
b - L’événement dans son émotivité.
Le potentiel d’importance de l’événement dépend aussi de son impact subjectif, c’est-à-dire des valeurs et des émotions qu’il rencontre ou suscite. L’événement sera donc d’autant plus important qu’il parle à une constitution émotive particulière.
c - L’événement dans ses échos.
Le fait qui constitue l’événement est également tributaire des autres faits historiques corrélatifs. Certains événements sont vite oubliés au profit d’autres, certains au contraire n’acquièrent leur importance qu’après coup, et pour un temps donné, en fonction de ce qui les précède, les accompagne ou les suit. L’événement n’est donc que le produit d’une place dans l’interprétation déjà constituée de l’histoire.
Partie 3 : L’événement, un fait négligeable.
a - La faiblesse de la mémoire évènementielle.
L’événement ne témoigne toutefois que du fait que l’homme ne peut tout retenir. Sa volonté d’accorder une importance à certains faits ne traduit ainsi que son impuissance à se souvenir de tout ce qui est signifiant.
b - La réduction historique de l’événement.
Le fait événement est en ce sens une lecture tronquée et réductrice de l’histoire : il se substitue imparfaitement à la complexité des faits, et révèle bien souvent son imposture dès lors que se déroule réellement l’histoire.
c - Le mensonge de l’événement.
L’événement n’est d’ailleurs pas un simple pis-aller contre l’oubli. Il ment souvent, et cache la richesse de l’histoire, tout autant que sa réalité. L’événement conduit à ne voir que certains éléments signifiants, et donc à commettre des erreurs d’appréciation historique.