Peut-on penser contre l’expérience ?

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L'analyse du professeur


Ce sujet conduit à s’interroger sur la nature de la connaissance que nous pouvons avoir des choses auxquelles nous sommes confrontés dans le monde qui nous entoure, c’est-à-dire sur ce qui peut fonder l’interprétation intelligente que nous avons de ces choses et de leurs rapports à nous. En ce sens, se demander ce que peut signifier « penser contre l’expérience » revient à se demander dans quelle mesure la pensée est indépendante de l’expérience lorsqu’elle agit, se forge des idées, organise une connaissance. Possédons-nous un système de connaissance qui nous permet de prendre du recul par rapport aux choses que nous rencontrons dans l’expérience sensible ? Au nom de quoi pouvons-nous juger contre l’expérience, et refuser d’accepter ce que semble nous dire nos sens, c’est-à-dire reketer comme fausses les informations sensorielles qui s’imposent à notre esprit ? Il s’agit donc ici d’analyser le fonctionnement de la connaissance pour savoir si nous devons obligatoirement recourir à l’expérience lorsque nous cherchons à connaître ou, si ce n’est pas toujours le cas, en quel sens cela reviendrait à penser « contre » l’expérience, c’est-à-dire comment nous pourrions fonder autrement la connaissance des choses, et corriger ainsi l’expérience que nous en avons.

[...]

Plan proposé

Partie 1

Il convient tout d’abord d’insister sur le fait que tout connaissance semble dépendre de l’expérience sensible.

a

En effet, la pensée est nécessairement liée à l’expérience, c’est-à-dire que la connaissance semble se fonder empiriquement dans la mesure où connaître c’est toujours connaître quelque chose dont on fait une expérience au moyen des informations que nous livrent nos organes sensoriels.

b

En ce sens, il paraît difficile de penser contre l’expérience puisque l’expérience apparaît comme une condition de la pensée, c’est-à-dire que l’apport matériel des informations sensorielles paraît indispensable pour formuler des idées des choses.

c

Plus profondément même, il semble évident qu’aucune connaissance ne peut se dispenser d’un retour aux choses mêmes, dans la mesure où elle n’a de validité que si elle prouve sa pertinence dans l’expérience en expliquant les choses que nous voyons ou serons amenés à voir, si elle se montre apte à ne pas être une pure abstraction logique sans référent concret.

Partie 2

Toutefois, en analysant plus précisément la façon dont se construit la connaissance des choses, on peut s’apercevoir que l’esprit joue un rôle qui ne dépend pas entièrement de l’apport des informations sensorielles.

a

L’esprit fait subir à l’expérience un tri sélectif : il compare les expériences qu’il a des choses, afin de ne pas se laisser emprisonner dans les données d’une expérience particulière et tirer des généralisations hâtives d’une seule expérience devant laquelle il n’aurait pas de recul.

b

En effet, toute connaissance, comme par exemple celle qui permet de trouver une loi scientifique, se vérifie par de nouvelles expériences, par des tests, qui ne sont pas jamais parfaitement uniformes, et face auxquels l’esprit possède une marge de manœuvre, fait des choix et tire des conclusions qui expliquent les différences qu’il constate.

c

Dès lors, il semble possible de penser que l’expérience n’est qu’une matière primitive qui peut contenir tous les contraires possibles. Toute pensée se fait en quelque manière contre l’expérience, c’est-à-dire contre la profusion et les contradictions de l’expérience, et n’aboutit à un résultat qu’en ayant refusé la plupart des possibilités expérimentales en imposant une signification.

Partie 3

En outre, au-delà de l’opposition aux contradictions des informations sensorielles, la forme même de la pensée semble radicalement opposée au processus de l’expérience.

a

En effet, la pensée est par nature un mécanisme d’abstraction. Le raisonnement est totalement hétérogène à la nature de l’expérience, au sens où la pensée n’est pas du tout assignée aux contraintes expérimentales : elle est libre d’imaginer, de combiner, d’organiser ses idées comme elle l’entend.

b

L’expérience, à cet égard, n’est qu’une matière de la pensée, qui une fois traduite par la pensée devient méconnaissable comme telle. Autrement dit, la pensée fait parler l’expérience, impose des lois à l’expérience et lui donne un sens qu’elle ne manifeste pas par elle-même. La pensée propose ainsi une démarche déductive (qui se fonde sur les principes logiques de l’esprit) et qui accèdent ainsi à une validité universelle, alors que l’expérience ne permet au mieux qu’une induction, c’est-à-dire des constats particuliers et des comparaisons permettant de les généraliser sans jamais atteindre une universalité.

c

Nous pouvons donc en conclure que la contradiction est le moteur même du rapport entre pensée et expérience rapport qui est, en fait, un rapport de conflit au cours duquel l’expérience se subordonne aux opérations conceptuelles.