Peut-on démontrer n'importe quoi ?

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L'analyse du professeur


Dans le Gorgias, Platon aborde le problème de savoir dans quelle mesure la rhétorique peut servir l’homme. En s’entretenant avec Gorgias, après avoir réfuté les points de vue de Calliclès et de Pollos, il en vient à reconnaître que l’art de persuader peut être dangereux, si l’orateur ne poursuit pas le bien et ne cherche pas à agir en fonction d’une fin bonne. Platon et Gorgias semblent ainsi reconnaître qu’il est possible de démontrer tout et n’importe quoi, et que le langage est un outil particulièrement redoutable parce que pouvant servir à tout démontrer. Est-il toutefois si certain que l’on puisse démontrer n’importe quoi ? Le paradoxe de ce sujet semble reposer sur le fait que l’acte de démontrer suppose une rigueur et un talent d’analyse peu compatible avec l’idée de « n’importe quoi ». Plus précisément, si la vérité d’un discours dépend de sa capacité à atteindre quelque chose de réel et d’indubitable, il semble difficile de dire que l’on peut démontrer n’importe quoi, puisque ce qui existe et est réel n’est justement pas tout et n’importe quoi. Le problème qui se trouve posé est alors celui de la vérité, et plus précisément celui de savoir jusqu’à quel point le maniement des mots peut se trouver corrigé et jugé au regard d’un critère objectif, permettant de sortir de l’incertitude et des tromperies du vocabulaire. Nous nous attacherons tout d’abord à montrer que l’on ne peut démontrer n’importe quoi, puisque le discours démonstratif n’est efficace qu’à la condition de désigner objectivement ce qu’il entend démontrer. Nous constaterons toutefois que ce critère de vérité du discours démonstratif est relatif à la façon dont nous possédons un sens du vrai, et qu’il n’est pas évident que le vrai puisse être objectif. Nous serons alors conduits à mettre en question les critères du vrai, pour montrer qu’il est fort possible de démontrer n’importe quoi, à la condition toutefois que la chose démontrée soit cohérente avec une représentation plus globale.

[...]

Plan proposé

Partie 1

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Une démonstration suppose que les idées qui portent sur la chose à démontrer aient un sens, ce qui signifie qu’une des premières contraintes de la démonstration est la capacité à définir les choses, et à les désigner.

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À cette première contrainte s’articule une contrainte logique, qui consiste essentiellement à produire un discours sensé, c’est-à-dire un discours construit visant à lier des idées entre elles de façon crédible. Le sens de la démonstration ne dépend donc pas seulement des idées, mais également du lien entre ces idées.

c

Une troisième contrainte joue enfin, qui dépend de la possibilité de convaincre celui à qui est adressé le discours, c’est-à-dire de trouver le moyen d’insérer la démonstration dans un contexte intellectuel et psychologique, selon lequel celui qui prend connaissance de la démonstration est capable de la rattacher à ce qu’il sait et de la trouver crédible.

Partie 2

a

Si les trois contraintes précédentes semblent indiquer qu’il serait impossible de démontrer n’importe quoi, puisque ce qui est à démontrer dépend de ce qui est démontrable (en fonction des trois contraintes), cette limite à démonstrativité est en fait relative, puisqu’il n’est tout d’abord pas certain que la définition des choses soit unilatérale. Autrement dit, il n’y a jamais de référent objectif et absolu, ou de compréhension arrêtée et définitive du sens des choses. Il suffit en ce sens de démontrer que le sens d’une chose est relatif, et doit être corriger, pour s’affranchir de la première contrainte.

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En outre, la contrainte logique est elle-même purement formelle et limitée. Entre une démonstration vraie et une démonstration seulement vraisemblable, il semble qu’il est difficile de véritablement marquer l’écart. Dès lors, je peux affirmer des choses qui ont l’air probables, comme si elles étaient vraies, et tromper celui qui m’écoute et qui sera convaincu d’une chose que j’affirme logiquement, sans pourtant qu’elle soit réelle.

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Enfin, la troisième contrainte est elle-même ambiguë, puisqu’elle peut tout aussi bien servir une démonstration contestable. Autrement dit, lorsque je cherche à démontrer quelque chose, je peux utiliser la culture et les connaissances d’une personne pour réussir à l’amener à accepter ma démonstration, quand bien même cette démonstration n’est pas rigoureuse.

Partie 3

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Les trois contraintes dégagées ne sont donc pas des arguments véritables pour dire qu’il est impossible de démontrer n’importe quoi. Un relativisme assez fort semble alors découler de l’argumentation qui précède, puisqu’il est toujours possible de démontrer n’importe quoi, pour peu qu’on s’en donne la peine, et que l’on trouve les moyens de s’affranchir des contraintes.

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Au-delà de cet affranchissement des contraintes, il semble que la possibilité de démontrer n’importe quoi dépend de facteurs extérieurs au langage, comme par exemple l’autorité, le charisme, la crédibilité etc. de la personne qui parle. Il y a donc des facteurs subjectifs qui jouent fortement dans la conviction d’un discours.

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Enfin, la possibilité de démontrer n’importe quoi paraît d’autant plus crédible que le vecteur de la démonstration entre en jeu. Dans un contexte de communication comme celui de nos sociétés médiatiques contemporaines, la diffusion des informations est rapide et difficilement maîtrisable, et semble impliquer d’autant plus fortement le risque de convaincre sans raison véritable.