L'analyse du professeur
Dans Fin de partie, Nagg et Nell cherchent à écrire. Pour le spectateur de la pièce de Beckett, cette tentative qui recherche un peu de sens dans un monde absurde peut paraître vaine. En effet, il semble que la signification ou même le pouvoir de formuler des mots est devenu illusoire, dans un monde désenchanté, sans Dieu, où chaque personne se replie sur elle-même et comprend de moins en moins le langage et la dignité d’autrui. Pourtant, les deux culs de jatte continuent à tenter, comme si le sens était devenu un enjeu crucial que la société rend d’autant plus nécessaire, qu’elle favorise paradoxalement comme une exigence désespérée.
Le rapport de notre société moderne à la création artistique semble, à ce titre, ambiguë. La société démocratique et libérale dans laquelle nous vivons paraît en effet avoir connu une mutation sans précédent dans son rapport à la possibilité de mettre en œuvre les productions esthétiques. Époque de diffusion de masse de la culture, elle apparaît comme un espace de communication favorisé de l’art qui appelle de fait un renouvellement des œuvres. Mais époque de consommation de masse, elle conduit paradoxalement à rendre cette production d’autant plus difficile que l’art répond à des impératifs autres que ceux des problèmes inhérents à la volonté de créer, ne serait-ce qu’économiquement.
Nous nous attacherons donc à montrer tout d’abord que la société comme moderne est une société qui appelle à la création artistique. Mais nous constaterons que cette création rencontre un certain nombre d’obstacles qui, paradoxalement, semble en réduire le champ de possibilité. Dès lors, nous nous interrogerons sur le devenir de l’art contemporain afin de saisir si les obstacles modernes sont véritablement inhérents à la modernité ou ne traduisent qu’une mutation des formes de la création.
[...]
Plan proposé
Partie 1
a
La société moderne semble favoriser la création artistique comme aucune autre époque. En effet, nos sociétés démocratiques consacrent la liberté d’expression, au premier rang de laquelle la liberté de l’artiste.
b
En outre, si l’on conçoit que l’art entretient toujours, via les sources d’inspiration de l’artiste, un certain dialogue avec le présent ou l’actuel, il semble résulter nécessairement une richesse d’évènements et une diversité de comportements qui inspirent nécessairement de façon plurielle et complexe les esprits créatifs.
c
Enfin, les politiques culturelles propres aux sociétés modernes semblent favoriser le métier d’artiste et accorder une place plus grande aux œuvres et à la création artistique.
Partie 2
a
Toutefois, il apparaît également que ces possibilités ne sont pas nécessairement actualisées. En effet, comme le souligne Baudrillard, l’avènement d’une société de consommation conditionne assez fortement des attentes des spectateurs qui ne sont pas nécessairement demandeurs de nouvelles créations ou d’innovations.
b
En outre, la diffusion d’une culture de masse appelle peut-être plus une diffusion de ce qui a été fait, une vulgarisation de ce qui est le patrimoine de l’art, qu’une innovation réelle.
c
Enfin, le poids de l’histoire de l’art, et l’évolution vers un art de plus en plus abstrait semble fermer les perspectives de l’acte créateur qui, malgré la multiplicité des sources d’inspiration, semble s’enfermer dans des productions de plus en plus difficiles à concevoir.
Partie 3
a
Dès lors, si la société moderne favorise la création, ce ne peut-être aussi directement qu’on pouvait initialement le croire. La création artistique semble en effet requise en ce que l’artiste propose un regard neuf sur les choses, un regard non technique, original et contemplatif qui paraît nécessaire dans un monde de plus en plus standardisé et technique au sens de Heidegger.
b
En outre, la société n’a pas seulement besoin de ce regard : elle le suscite chez l’artiste qui, bien souvent, se marginalise intellectuellement pour devenir un contestataire, un imaginatif qui ne peut se contenter de ce que la société lui propose.
c
Enfin, de façon presque hypocrite, il semble que la société reconnaît et favorise fortement l’excellence de la création artistique du fait du snobisme caractéristique du marché de l’art : il y a en ce sens comme un impératif de nouveauté qui conduit à créer pour créer, et à apprécier forcément ce qui est nouveau et se veut anticonformiste.