Plan proposé
Partie 1
a
« Tout ce qu'on appelle amour. - Convoitise et amour : quelle différence dans ce que nous éprouvons en entendant chacun de ces deux mots ! »
N s’appuie sur l’évidence pour montrer non seulement que nous faisons une différence fondamentale entre le sens de la convoitise (le fait de désirer posséder quelqu’un ou quelque chose, avec ce sens péjoratif du prédateur qui jette son dévolu sur l’objet de sa convoitise), et celui de l’amour (le fait d’éprouver un sentiment presque désintéressé à l’égard d’autrui, au point de pouvoir se sacrifier pour l’autre ainsi idéalisé), mais pour sous-entendre que cette différence est éprouvée, c’est-à-dire fait presque partie de la sensibilité commune (résultant alors d’un universel ou d’un général qui pose la question de l’origine de cette identité de sentiments).
b
« et cependant, il pourrait bien s'agir de la même pulsion, sous deux dénominations différentes, la première fois calomniée du point de vue de ceux qui possèdent déjà, chez qui la pulsion s'est quelque peu apaisée et qui craignent désormais pour leur « avoir » ; »
N rejette ici la distinction entre les deux sens admis comme évidents par l’opinion. La convoitise apparaît donc comme une pulsion identique à celle de l’amour, avec cette différence toutefois que sa dénonciation morale, le préjugé péjoratif qui l’attaque, reposerait en réalité sur ceux qui s’en méfient, et veulent à tout prix jouir exclusivement du droit de leur amour, sans risquer la tentation de celui des autres (qu’ils dénoncent alors comme convoitise).
c
« l'autre fois du point de vue de celui qui est insatisfait et assoiffé, et donc glorifiée sous la forme du « bien ». »
À l’inverse, la désignation de l’amour serait valorisée moralement puisqu’elle désigne à la fois la satisfaction de celui qui n’a plus besoin de convoiter, et l’envie que peut susciter celui-là, qui possède justement sa certitude de propriétaire du sentiment et de la personne à laquelle il s’attache.
Partie 2
a
«Notre amour du prochain - n'est-il pas une aspiration à une nouvelle possession? Et de même notre amour du savoir, de la vérité et de manière générale toute l'aspiration à des nouveautés? »
Pour fonder sa critique, N montre que les pistes se brouillent dès que l’on creuse le sens des mots : ainsi l’amour du prochain ou celui du savoir sont en réalité une convoitise du nouveau. Dès lors, la pulsion de la volonté qui cherche à s’approprier ce nouveau n’est pas différente dans les deux cas, et la différence ne tient tout au plus qu’au fait qu’il s’agit de deux stades différents de développement et de réalisation de la pulsion : l’un celui du manque (la convoitise), l’autre celui de la possession (l’amour), mais les deux étant finalement des aspirations à la nouveauté.
b
"Nous nous lassons progressivement de l'ancien, de ce dont nous nous sommes déjà assuré la possession et recommençons à tendre les mains ; même le plus beau des paysages, une fois que l'on y a vécu trois mois, n'est plus certain de notre amour, et n'importe quelle côte lointaine excite notre convoitise : la possession rétrécit le plus souvent l'objet possédé. »
Ce développement n’est que l’illustration de la thèse affirmée plus haut : la preuve du désir insatiable de la pulsion se trouve réciproquement dans la lassitude que ressent tout homme à l’endroit de l’habitude. La formule lapidaire déclarant que la possession réduit l’objet possédé permet ainsi de comprendre que le moteur du désir est l’horizon qu’offre le désiré, horizon qui est fonction de la distance du regard. S’attacher à une chose, c’est la dominer, et la priver de toute idéalisation.
c
« Le plaisir que nous prenons à nous-mêmes veut tellement se maintenir qu'il ne cesse de métamorphoser quelque chose de nouveau en nous-mêmes, - c'est cela même que l'on appelle posséder. »
Devançant l’objection de l’égoïsme, passion qui est justement réfléchie et fait de nous-mêmes l’objet de la pulsion, N montre que même dans ce cas le désir se renouvelle et nous fait autre. Le « je est un autre » rimbaldien se retrouve ici sous la plume de N, à la condition toutefois de comprendre que l’autre en moi est le fruit d’une découverte constante de moi-même, qui n’est que l’expression d’une force vitale m’obligeant à me renouveler sans cesse.