L'analyse du professeur
Dans Le crépuscule des idoles, Nietzsche a prétendu qu’il fallait philosopher à coup de marteau, c’est-à-dire détruire les idoles du passé pour restaurer un rapport perdu à la vérité et au sensible. Sa philosophie est donc, tant dans sa méthode que dans ses objets, une philosophie non classique, non métaphysique, qui a pour enjeu de repenser notre rapport aux concepts importants de notre tradition intellectuelle.
Dans le texte qui est ici soumis à notre étude, extrait du Livre du philosophe, Nietzsche précise cette thèse, et montre pour quelle raison la philosophie n’est pas, comme elle a cherché longtemps à le prétendre, une recherche de la vérité, mais au contraire un exercice du mensonge. Plus exactement, N affirme la thèse selon laquelle il faut se libérer des constructions fallacieuses du sens du vrai pour retrouver un rapport authentique au sensible. Peut-on toutefois ainsi revendiquer un affranchissement du poids intellectuel du passé ? Le défi ne conduit-il pas à se mettre dans une position de fragilité bien trop audacieuse pour celui qui, initialement, s’est justement construit dans la dissimulation afin de pouvoir s’affirmer ?
Nous chercherons à montrer que ce texte s’enracine d’abord dans une approche critique de l’histoire de la philosophie, qui a progressivement enfermé l’homme dans une vision déformée de la réalité, au point que seule leur surface en subsiste. Nous en viendrons ensuite à saisir plus particulièrement pour quelles raisons il convient alors de défendre un retour à la vérité du sensible, dépouillée des simagrées de la métaphysique.
[...]
Plan proposé
Partie 1
a - Lignes 1-2.
N fait référence à la loi de nature (dont traitent la plupart des philosophes politiques des deux siècles qui le précédent), qui est souvent identifiée à une loi de conservation, et considère que l’intellect joue pour l’homme un rôle primordial dans la conservation en tant qu’il permet à l’homme de se dissimuler, et donc de se protéger contre les autres espèces animales, qui sont plus fortes que lui.
b - Lignes 3-5.
Selon une logique darwinienne (la sélection des espèces permet seulement au plus fort de résister), le seul moyen dont dispose l’homme est la ruse, c’est-à-dire la possibilité de se cacher du plus fort afin qu’il ne lui serve pas d’aliment ou de souffre-douleur.
c - Lignes 6-11.
La logique naturelle de Darwin se trouve néanmoins ici appliquée au-delà du contexte strictement naturel : le mensonge devient en effet un art cultivé (qui se développe dans le cadre de la culture), qui ne permet alors pas seulement à l’être naturel chétif de se défendre contre les autres espèces animales, mais permet également à l’homme faible de tromper et vaincre l’homme fort. Les conventions sociales et les masques des codes moraux sont autant de duperies dont peut user l’homme rusé afin de tromper celui qui est honnête et vrai (ce qui est l’équivalent intellectuel de la force naturelle).
Partie 2
a - Lignes 12-15.
Cette analyse de l’hypocrisie et des faux semblants sociaux permet ainsi à N de glisser du terrain de la dénonciation politique et morale à celui du rapport de l’esprit à la vérité. Selon une rhétorique platonicienne assumée (tirée du mythe de la caverne), N oppose vérité et images, et montre que les codes sociaux entrave le chemin de la vérité puisqu’ils sont justement construits par ceux qui ne peuvent vivre dans cette vérité et dans l’honnêteté.
b - Lignes 16-20.
Dès lors, la vérité a été progressivement détruite, et une vérité (procédant de la dissimulation) la remplace désormais : aux yeux de N, cette vérité (qui est celle de la métaphysique), est échafaudée sur un tissu de mensonges et de faux semblants auquel participent l’ensemble des arts et des savoirs humains (poésie, politique, morale, droit et même science).
c - Lignes 20-24.
Par où s’explique la dénonciation nietzschéenne de la vérité qui est illusion parce que l’homme a oublié que les simulacres qui l’ont progressivement recouverte avaient initialement pour référent le sensible (et non la raison), et se devaient de s’adosser au monde réel (plutôt qu’aux images idéelles produites par les plus faibles pour assumer leur rapport au monde).