Michel Foucault, Les mots et les choses, chap.X : « Les sciences humaines »

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L'analyse du professeur


La linguistique est au cœur du déconstructionnisme français, c’est-à-dire d’une pensée politique engagée qui, à l’aune de Foucault par exemple, a tenté de montrer que l’usage des mots ne peut jamais apparaître simplement comme un usage instrumental neutre. Tout au contraire, l’usage des mots traduit des sens et des engagements qui habitent toujours ces mots, et que ne peuvent éliminer des analyses strictement positivistes et réductionnistes du langage.

Le texte qui est ici soumis à notre étude aborde ce problème, et pose plus particulièrement la question du statut scientifique de la linguistique. Il s’agit de se demander dans quelle mesure cette science est une contre-science parente de l’ethnologie et de la psychanalyse, qui comme elle sert à comprendre la façon dont l’homme donne sens à sa vie, et ne résume pas ce sens à des significations universelles et transparentes. L’enjeu de la thèse est alors de montrer que la vie humaine est souvent complexe, et que le feuilleté de sens qu’y projettent les hommes conduit à définir la linguistique comme une arme politique et scientifique, permettant notamment de déconstruire les certitudes des sciences positives réduisant l’homme à un être rationnel et normé. Nous nous attacherons à montrer que le texte débute par une analyse de la forme de l’approche linguistique, en montrant ce qu’elle apporte à la psychanalyse et à l’ethnologie. Une telle définition lui permet ensuite de montrer la fonction déconstructionniste de la linguistique, qui densifie le sens de la vie humaine, et complexifie la connaissance de l’homme.

[...]

Plan proposé

Partie 1 : La linguistique comme outil formel d’analyse des sens.

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« Alors, se forme le thème d'une théorie pure du langage qui donnerait à l'ethnologie et à la psychanalyse ainsi conçues leur modèle formel ». La théorie pure du langage qu’envisage ici Foucault serait une théorie consistant à trouver un moyen de définir les mots de façon « pure », c’est-à-dire de neutraliser le potentiel de connotation du langage afin de construire des significations précises et démontrées, qui seraient à l’origine d’un usage ethnologique et psychanalytique. D’oùl’idée de modèle formel, c’est-à-dire d’un modèle qui ne porte pas sur le contenu mais sur la forme commune des mots utilisés par les deux disciplines, et analysés par la linguistique.

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« Il y aurait ainsi une discipline qui pourrait couvrir dans son seul parcours aussi bien cette dimension de l'ethnologie qui rapporte les sciences humaines aux positivités qui les bordent, que cette dimension de la psychanalyse qui rapporte le savoir de l'homme à la finitude qui le fonde. » La particularité de l’ethnologie comme de la psychanalyse serait en effet de questionner le sens des mots, afin de montrer de quelle manière c’est l’absence de maîtrise du sens, ou la difficulté à saisir ce sens, qui est le problème principal de l’analyse du psychisme ou des cultures propres à certains peuples.

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« Avec la linguistique, on aurait une science parfaitement fondée dans l'ordre des positivités extérieures à l'homme (puisqu'il s'agit de langage pur) et qui, traversant tout l'espace des sciences humaines rejoindrait la question de la finitude (puisque c'est à travers le langage, et en lui que la pensée peut penser : de sorte qu'il est en lui-même une positivité qui vaut comme le fondamental). » L’ordre des positivités serait ici l’ordre de la démonstration et de la scientificité factuelles. Il s’agit en fait de montrer le langage dans ce qu’il a de plus clair, indépendamment de ses contextes d’interprétations psychanalytique ou ethnologique. Le but n’est toutefois pas de produire une théorie positiviste du langage, réduisant ce langage à n’être qu’un ensemble de significations réduites à des dénotations, mais de comprendre comment se construisent les particularisations du langage dans tel ou tel contexte. Le langage pur serait donc un moyen, un outil, au service de ces méthodes ou sciences, afin de montrer que la finitude, c’est-à-dire les limites de l’humain que tentent de cerner l’ethnologie comme la psychologie, sont directement liées à la question du sens des mots.

Partie 2 : La linguistique, un outil de la déconstruction du sens de l’humain.

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« Au-dessus de l'ethnologie et de la psychanalyse, plus exactement intriqué avec elles une troisième « contre-science » viendrait parcourir, animer, inquiéter, tout le champ constitué des sciences humaines, et en le débordant aussi bien du côté de positivités comme du côté de la finitude, elle en formerait la contestation la plus générale. » La linguistique ne se résumerait alors pas à être une science instrumentale. Elle serait ainsi une science fondamentalement critique, puisqu’elle posséderait le moyen de montrer que le savoir positif ne suffit pas (il s’articule à de l’interprétation), tout autant que la finitude peut être problématisée sur le fond des mots qui l’aident à se constituer.

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« Comme les deux autres contre-sciences, elle ferait apparaître, sur un mode discursif, les formes-limites des sciences humaines ; comme elles deux, elle logerait son expérience dans ces régions éclairées et dangereuses où le savoir de l'homme joue, sous les espèces de l'inconscient et de l'historicité, son rapport avec ce qui le rend possible. » Foucault parle de contre-science puisque la méthode de ces trois approche est une méthode contraire, qui a pour objet non pas de construire la théorie à partir de l’expérience afin de produire un savoir positif, mais de déconstruire les théories existantes afin de montrer l’absence de positivité lorsqu’il s’agit de traiter de l’humain. Le but est donc de lutter contre la tendance totalisante et écrasante des sciences, en montrant que l’humain ne se pense jamais lui-même et en lui-même indépendamment de clefs non objectivables, proprement relatives et subjectives.

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« À elles trois, elles risquent, en l'  « exposant », cela même qui a permis à l'homme d'être connu. Ainsi se file sous nos yeux le destin de l'homme, mais il se file à l'envers ; sur ces étranges fuseaux, il est reconduit aux formes de sa naissance, à la partie qui l'a rendu possible. Mais n'est-ce pas une manière de l'amener à sa fin? Car le linguistique ne parle plus de l'homme lui-même que la psychanalyse ou l'ethnologie. » La finalité de ces sciences est donc de produire une généalogie de l’homme, qui devient alors un modèle non objectivable, exposé aux origines de sa construction, c’est-à-dire qu’il faut comprendre comme le produit d’un contexte, et jamais simplement comme un modèle universel.