L'analyse du professeur
Le préjugé est ce qui est pré-jugé, c’est-à-dire ce qui précède le jugement ou ce qui a été jugé par un autre que nous et que nous croyons sans examen. Il semble, en ce sens, être radicalement opposé à la vérité comprise comme une forme d’adéquation entre l’expérience des choses et les idées de l’esprit. Toutefois, si le préjugé a fait l’objet d’un jugement préalable, il a fait l’objet d’une construction démonstrative qui a porté quelqu’un à le considérer comme vrai.
Ce sujet semble alors conduire au paradoxe selon lequel les préjugés, tout en étant radicalement opposés à la méthode de construction du vrai au moyen de l’esprit critique et des preuves, peuvent cependant dire la vérité sur les choses. Bref, ne faut-il voir dans les préjugés qu’une imposture, selon laquelle nous croyons faussement que le préjugé a été pré-jugé, alors qu’il ne véhicule que des faux jugements qui n’ont jamais au préalable atteint le vrai ? Les préjugés n’atteignent-ils alors parfois le vrai que parce qu’en disant tout et son contraire, ils finissent par dire certaines choses vraies sans vraiment en avoir conscience ? Ne faut-il pas au contraire considérer que le préjugé dépend initialement d’un jugement authentique, et qu’il peut s’en réclamer et donner lieu à une justification rationnelle, pour peu qu’on prenne le temps de la construire ?
[...]
Plan proposé
Partie 1
a
Les préjugés détournent toujours du vrai dans la mesure où ils affirment sans preuves les choses les plus irrationnelles. Cette déficience est particulièrement marquée dans la façon dont l’esprit accepte le préjugé : il y adhère sans examen et correspond ainsi à une soumission aveugle à une idée ou à une thèse.
b
Cette soumission est d’ailleurs double : celui qui accepte un préjugé se soumet non seulement à une idée arbitraire, mais s’enferme également dans ce qui le rassure et lui convient spontanément. Le préjugé convient à une personne parce qu’il fait écho à ce qui est le moins intelligent en lui, à ses passions ou ses rancoeurs par exemple.
c
Enfin, le préjugé détourne fondamentalement du vrai parce qu’il entretient l’individu dans l’illusion qu’il peut posséder des certitudes qui ne seraient pas fondées sur une méthode d’analyse et de critique.
Partie 2
a
Toutefois, il arrive que le préjugé tombe parfois juste, c’est-à-dire que l’expérience d’un individu, ou ses jugements postérieurs, en viennent à confirmer l’idée reçue.
b
Dès lors, le préjugé a une utilité, parce qu’il permet de se dispenser d’une analyse rationnelle et critique tout en donnant accès parfois au vrai. Comment expliquer ce pouvoir de vérité, qui semble faire la valeur de certains préjugés ?
c
Il semblerait ainsi possible de séparer les bons des mauvais préjugés, au sens où un individu ne devrait accepter d’adhérer qu’aux préjugés dont il a de fortes raisons de penser qu’ils sont fondés. Il est en ce sens évident qu’une affirmation catégorique d’un expert est acceptée sous la forme d’un préjugé par un amateur, tout en étant crédible et utile.
Partie 3
a
Le préjugé n’est donc pas nécessairement contraire au vrai, mais il peut être une étape du vrai dans la mesure où toute connaissance procède d’abord de préjugés que l’on cherche à comprendre.
b
Dès lors, le préjugé est un guide hypothétique que l’on doit interroger pour en jauger la valeur et en établir le sens. Le préjugé a une valeur heuristique : il conduit au vrai.
c
Enfin, le préjugé a une valeur pratique, parce qu’il permet l’action, et s’offre comme le seul recours possible dans l’urgence.