Les lois prennent-elles en compte les croyances des individus ?

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L'analyse du professeur


Si nous comprenons les lois comme l’expression d’un système de droit ayant pour but de pacifier les rapports entre les hommes de façon à leur permettre de vivre en société, il semble que les lois doivent prendre en compte la façon dont les individus conçoivent leurs vies afin de leur permettre d’espérer atteindre une forme de bonheur dans la vie en société. Cependant, le rapport entre les différents plans de vie des hommes, entre les différentes conceptions du bonheur, peut s’avérer problématique. En effet, il est possible de penser que les convictions morales des individus ne sont pas nécessairement en accord. En ce sens, les croyances, en tant qu’elle sont des modes d’expression des convictions morales les plus profondes des individus, semblent possiblement divergentes. Autrement dit, il n’est pas acquis que les différentes croyances ne poussent pas les individus dans des directions divergentes, ne conduisent pas à une atomisation nécessaire de la société selon des valeurs radicalement opposées. Le problème de ce sujet devient donc de savoir dans quelle mesure les croyances individuelles ne sont pas potentiellement porteuses de valeurs entrant en contradiction avec les valeurs de la citoyenneté, c’est-à-dire les principes de la loi. Plus profondément, ce qui se trouve donc interrogé à travers ce sujet est le principe de l’universalité possible des lois : si nos sociétés démocratiques sont fondées sur un idéal qui suppose la possibilité de trouver des valeurs partagées par l’ensemble des individus (l’idéal de droits de l’homme et du citoyen tel qu’il est formulé par les Lumières), la réalisation de cet idéal se heurte d’autant plus à des coutumes, des traditions ou des habitudes de vie que la liberté accordée à chacun a pour conséquence que nul ne peut imposer des valeurs à l’individu et le plier à des préceptes moraux.

[...]

Plan proposé

Partie 1

a

Il peut tout d’abord sembler que les lois résultent de l’accord rationnel entre les individus qui acceptent de se soumettre à des règles identiques de vie.

b

En ce sens, le fait même que des groupes d’individus en viennent à se poser la question du type de règles qui pourraient régir leurs existences communes montre que ces individus appartiennent bien souvent à une même trajectoire historique ou culturelle, ou tout au moins partagent les mêmes problèmes.

c

Dès lors, que ce soit pour des motifs de croyances communes à ces individus, ou que ce soit en raison de problèmes communs au sujet desquels se rencontreraient les croyances des individus, il paraît possible de dire que les lois sont forcément déduites des croyances, ou les prennent en compte comme éléments fondateurs ou principaux.

Partie 2

a

Cependant, la prise en compte des croyances, si elle est un fait indéniable, peut ne pas être nécessairement souhaitable pour la pérennité du lien social. En effet, il apparaît d’abord que toutes les croyances ne sont pas nécessairement compatibles, puisque le principe même d’une croyance est de se fonder sur les limites de la raison, et appeler un principe d’adhésion sentimentale dont il n’est plus possible de discuter et qui exclue un autre principe d’adhésion.

b

En outre, quand bien même les croyances seraient compatibles, il est possible de se demander si elles sont souhaitables par elles-mêmes pour la construction de règles comportementales communes et ouvertes à tous, tant le principe d’une croyance peut apparaître comme exclusif et peut compatible avec le changement des mœurs.

c

Enfin, le fait même pour l’État, notamment lorsqu’il est démocratique, de se soumettre à une autorité supérieure qui serait celle de la croyance est problématique, puisque sa souveraineté ne lui appartient pas, et n’appartient à aucun homme en particulier, ce qui conduit à douter du principe de soumission à des croyances directrices.

Partie 3

a

Une telle condamnation de la croyance comporte toutefois le risque de conduire à élaborer une conception très abstraite du système juridique. En effet, le fait de refuser de prendre en compte les croyances, ou même de les subordonner à des principes politiques supérieurs, creuse un fossé de plus en plus grand entre les individus et les lois.

b

Dès lors, il s’agirait de penser que les lois ne peuvent se dispenser d’une prise en compte mesurée des différences cultuelles pour assurer une meilleure homogénéité sociale tout en évitant le risque d’implosion communautariste, c’est-à-dire le morcellement de la société sous la pression des différentes croyances.

c

Il faut donc penser que la meilleure manière de prendre en compte les croyances n’est pas tant de soumettre la politique aux exigences communautaires qui les manifestent, que d’affirmer la neutralité intrinsèque de l’État libéral, qui donne reconnaissance à toute croyance sans en favoriser aucune.