Leibniz, la démonstration

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L'analyse du professeur


« Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles », ne cesse de répéter Pangloss, le maître de Candide. Sous la plume de Voltaire, et tel qu’il vise la philosophie morale de Leibniz, le propos est évidemment ironique. Il résume de façon caricaturale le principe de cette philosophie morale, au point que l’on peut se demander légitimement si cette véritable réduction à l’absurde peut toucher à une quelconque pertinence, étant par ailleurs donnée la complexité de la théorie de Leibniz. Le texte qui est ici soumis à notre étude semble toutefois renforcer le problème, dans la mesure où la définition de la méthode philosophique qu’y propose Leibniz semble permettre de réduire la théorie à un principe, ou à une vérité générale. Se trouve en effet défendue une thèse selon laquelle le développement de la science, parce qu’il répond à un processus de déduction logique, autorise à concevoir la science comme un ensemble hiérarchisé de propositions dont le développement exhaustif dépend d’un petit nombre de principes, qu’il suffit alors de connaître pour posséder hypothétiquement l’ensemble des connaissances réelles. Cette thèse pose problème, puisqu’elle fait dépendre la vérité du pouvoir logique de l’esprit, et prétend ainsi que la raison peut par principe recouvrir l’ensemble du réel, c’est-à-dire considérer que la réalité est parfaitement logique parce qu’elle serait conforme aux déductions de l’esprit. Qu’est-ce qui garantit une telle adéquation ? Comment s’y fier pleinement ? Ne faut-il pas voir là un fantasme de logicien ou de mathématicien, qui force la nature des choses, au point de conduire à la mauvaise foi morale que dénonce Voltaire ? Nous nous attacherons à montrer tout d’abord que le texte débute par une définition de la science et de son organisation logique. Nous verrons ensuite en quoi cette définition permet à Leibniz de valider le principe de la hiérarchisation déductive des connaissances. Il nous faudra alors saisir dans quelle mesure ce principe conduit à poser l’économie des axiomes de la connaissance, c’est-à-dire la possibilité de réduire la science à deux ou trois thèse générales.

[...]

Plan proposé

Partie 1

a

« L'ordre scientifique parfait est celui où les propositions sont rangées suivant leurs démonstrations les plus simples, » La définition de la perfection de la connaissance que donne ici L est une définition économique, au sens où elle pose deux choses : la simplicité des démonstrations et le rangement de ces démonstrations. L’hypothèse qui sous tend cette affirmation est donc que la vérité dépend de ce qui s’impose à l’esprit selon le critère de l’évidence (inspiré des Méditations métaphysiques de Descartes), c’est-à-dire ce qui apparaît à l’esprit comme indubitable et ordonné selon sa propre logique.

b

« et de la manière qu'elles naissent les unes des autres, » L précise la méthode scientifique : il s’agit d’une méthode hypothético-déductive, selon laquelle la vérité première doit permettre de déduire des vérités secondes, sur le modèle des mathématiques, qui déduisent de formules générales la consécution d’un calcul.

c

« mais cet ordre n'est pas connu d'abord, et il se découvre de plus en plus à mesure que la science se perfectionne. » Le processus de la science s’inscrit dans le temps long, c’est-à-dire ne dépend pas seulement de la façon dont l’esprit peut déduire par lui-même des vérités, mais également et surtout de la façon dont la collection progressive des informations ou des données, se trouve rationalisée, et analysée puis intégrée aux règles générales (par exemple l’analyse progressive des données de l’observation des planète permet de valider empiriquement les règles de la physique en leur donnant du contenu empirique).

Partie 2

« On peut même dire que les sciences s'abrègent en augmentant,[ce] qui est un paradoxe très véritable, » Le paradoxe est celui d’un développement des connaissances qui réduit progressivement l’espace des vérités scientifiques. Il s’agit en fait de montrer que plus les connaissances se développent en pratique, plus elles permettent d’unifier les règles, et de réduire la diversité des principes explicatifs.

b

« car plus on découvre des vérités et plus on est en état de remarquer une suite réglée » L’idée de suite réglée est en fait une manière de désigner le processus déductif de la science, c’est-à-dire qu’il faut considérer la science comme un édifice hiérarchisé de connaissances qui s’enchaînent selon la logique de l’esprit.

c

« et de faire des propositions plus universelles dont les autres ne sont que des exemples ou des corollaires» La science se développe donc selon un double mouvement. D’une part, un mouvement empirique, au regard duquel l’ensemble des informations collectées permettent d’intégrer la diversité des phénomènes sous des principes directeurs simples. D’autre part, un mouvement de remontée vers les simple et le théorique, selon lequel les propositions sont de plus en plus universelles, c’est-à-dire englobent de plus en plus de choses ou de réalités.

Partie 3

a

« de sorte qu'il se pourra faire qu'un grand volume de ceux qui nous ont précédés se réduira avec le temps à deux ou trois thèses générales. » Il s’agit ici d’un constat permis par ce qui précède, et qui donne un point de vue historique sur le développement de la science, c’est-à-dire qui permet à L de montrer que le cours de la science dans l’histoire va dans le sens d’une simplification et d’une unification des principes explicatifs.

b

« Aussi plus une science est perfectionnée, et moins a-t-elle besoin de gros volumes, car selon que ses éléments sont suffisamment établis, » Les gros volumes sont une métaphore, selon laquelle les propositions vraies tiennent de moins en moins de place, c’est-à-dire sont de moins en moins nombreuses. Le degré de perfectionnement d’une science correspond donc à son degré paradoxal de simplicité, ce qui est une formulation du principe d’économie en science.

c

« on y peut tout trouver par le secours de la science générale ou de l'art d'inventer. » Il s’agit ici d’une proposition synthétique, qui conclut le raisonnement précédent, et selon laquelle la science est doublement décrite : elle est déduction du réel et réduction au simple, ce que désgine la science générale (la remontée vers l’universel) et l’art d’inventer (la possibilité d’intégrer les différentes découvertes dans l’édifice hypothético-déductif).