Le langage exprime-t-il notre être ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


Selon Aristote, dans Les politiques, le propre de l’homme est d’être un animal politique, ce qui se traduit au premier chef, à ses yeux, par le fait de posséder le don de la parole. Le langage serait donc une propriété essentielle de l’être humain, parce qu’il serait la clé du développement de l’humanité de l’homme. Se pose alors la question de la nature de langage, et des raisons de son utilité cruciale. Qu’exprime le langage ? Capacité à mettre en forme, c’est-à-dire en voix ou en phrases écrites les pensées, le langage semble être un moyen dont se sert l’homme pour rendre commun et partager ce qui se passe en lui, ce qui le caractérise en propre, dans son for intérieur. Le langage semble donc être un vecteur de communication qui permet de généraliser et de sortir de la subjectivité de celui qui pense. Comment alors le langage pourrait-il être ce qui caractérise en propre l’homme ? Ne faut-il pas penser que le langage n’est qu’un moyen superficiel, qui n’exprime rien de propre et d’authentique ? Le paradoxe auquel ce sujet invite à réfléchir est celui selon lequel le langage est à la fois ce qui semble permettre à l’homme de sortir de sa subjectivité pour construire un devenir commun avec les autres, et ce qui n’y parvient qu’au prix d’un renoncement à l’intime et au proche, par lequel l’homme perd ce qu’il semble être fondamentalement. Nous poserons tout d’abord le problème du rôle du langage en partant du constat que l’homme possède ainsi un outil extrêmement puissant qui lui permet de sortir de son animalité et de son immédiateté (I). Nous en viendrons toutefois à nuancer cette approche positive du langage pour montrer que son usage dénature nécessairement ce qui est vécu de façon subjective et personnelle, et paraît enfermer l’homme dans un monde de communication qui n’exprime jamais ce qu’il est (II). Il nous faudra alors nous interroger sur cette duplicité du langage, pour essayer de la dépasser et de montrer que le langage est un media qui ne parvient à ses finalités qu’à la condition de produire les moyens de son interprétation, c’est-à-dire à la condition de laisser exister l’être qu’il exprime dans sa différence et sa richesse (III).

[...]

Plan proposé

Partie 1

a

Le langage est un outil qui permet à l’homme de formuler une interprétation de ce qu’il est, c’est-à-dire de ce qu’il vit, ressent ou incarne, parce qu’il met à la disposition de chacun un ensemble de signes servant à qualifier des impressions, à la formuler et à les rendre partageables au-delà de la simple subjectivité.

b

Dès lors, le langage exprime en termes publics un être perçu, c’est-à-dire permet de faire entrer dans une sphère d’intersubjectivité une signification qui serait, sans lui, restée fermée à l’être qui la ressent.

c

Plus profondément, on peut même considérer que le langage permet d’atteindre une forme d’objectivité, puisqu’il n’est jamais créé par un locuteur, ou dans un acte unique de dialogue, mais il est appris et intégré, comme le code d’un ensemble de choses, afin de donner un sens objectif au monde vécu ou au monde à vivre.

Partie 2

a

Cependant, si le langage atteint l’objectivité, il devient alors difficile de distinguer les mots d’un homme de ceux d’un autre, à tel point qu’il est possible de se demander dans quelle mesure le langage exprime encore l’être de celui qui l’emploie.

b

En réalité, le langage n’exprime de l’être que ce qui n’est jamais incarné, c’est-à-dire ce qui reste abstrait, général, qualifiable par des concepts, mais jamais particulier, individuel, identifiable à une réalité vivante.

c

En ce sens, nous pouvons en arriver à penser que le langage est une illusion nécessaire, qui se prend pour la réalité sans jamais pouvoir s’y substituer complètement, c’est-à-dire qui exprime plus l’apparence d’un être que l’être lui-même.

Partie 3

a

Cette conclusion est toutefois gênante, parce qu’elle condamne le langage à l’inauthenticité, et en fait l’intermédiaire trompeur de la pensée, à tel point qu’il ne peut que réduire totalement la vérité de l’être ? Cette perception est négativement très gênante, puisqu’elle remet en question toute forme de discours, et donc de sociabilité et de progrès.

b

En outre, elle est réductrice, puisqu’elle suppose que le langage se résume à un acte particulier, détaché de tout contexte et de cadre interprétatif, alors que le langage n’exprime avec du commun que des choses susceptibles d’être interprétées et développées par le sujet qui entend le langage.

c

Ainsi, si le langage risque souvent de n’exprimer que le général et l’abstrait déconnecté du réel, il n’est véritablement langage qu’à la condition d’ouvrir ses interprétations possibles, et d’exprimer l’être au-delà du commun et du vague.