L'analyse du professeur
Alain déclarait que le doute est le « sel de l’esprit », en précisant que si « croire est agréable », c’est pourtant « une ivresse dont il faut se passer », sinon adieu « à liberté, justice, paix ». L’implacable sentence qu’il prononce a ainsi de quoi faire frémir, mais le beauté de la formule ne peut cacher l’hésitation bien légitime de celui qui a une fois osé le doute. Descartes lui-même avouait, pour les mœurs, qu’il « est besoin parfois de suivre des opinions qu’on sait fort incertaines ». Or les mœurs ne sont autres que les comportements des hommes, leurs actes, c’est-à-dire ce qui est justement la manifestation exemplaire de leurs libertés.
Faut-il alors penser que le doute est une entrave à la liberté ? Faut-il à l’inverse supposer que le doute la permet ? L’épineuse question révèle sa portée dès l’instant où l’on prend la mesure de l’exigence dubitative. Il ne s’agit pas simplement en effet de mettre à distance son accord, de critiquer en surface un point de vue : le doute est fondamentalement existentiel, puisqu’il touche au critère de la vérité, au fondement du juste, au sens même de la conviction nécessaire à toute pensée et toute action. Douter vraiment, c’est se retrouver seul au monde, sans certitude aucune. Si tout nous échappe, comment retrouver une assise, comme faire des choix, c’est-à-dire tout simplement être capable de peser le pour et le contre afin de décider sans entrave du comportement à tenir (ce qui est le sens même de la liberté) ?
Nous nous attacherons d’abord à montrer que le doute est le résultat de la déstabilisation, et ne peut à cet égard être considéré comme une démarche positive. Nous en viendrons toutefois à saisir que l’aliénation apparente du doute produit une crise et un sursaut de la raison, qui se trouve alors en mesure de faire table rase de ses handicaps afin de poser les vraies questions du choix. Nous montrerons cependant et enfin que ce pouvoir du doute n’est pas dépouillé d’ambiguïté, puisqu’il conduit à une affirmation sans fin de soi, particulièrement risquée pour celui qui se soucie des conséquences de son action et des effets de sa liberté.
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Plan proposé
Partie 1 : L’érosion de la liberté.
a - Le choc du doute.
Le doute procède d’un choc : nous doutons parce que nous sommes remis en question. Il n’y a pas de doute naturel pour celui qui n’a jamais fait l’épreuve de l’erreur ou de la faute. L’origine du doute est ainsi la douleur de l’échec.
b - Le chemin de la remise en question.
Cet échec n’est pas simplement factuel : celui qui doute se met en question. Il cherche en lui la raison de son doute, et se trouve alors déstabilisé non seulement au regard du but initial qu’il poursuivait, mais également et surtout à l’endroit même de sa démarche, celle qui l’avait justement poussé à agir ainsi.
c - La peur du doute.
Le doute confine enfin à la prudence, voire à la prostration : celui qui a douté une fois craint le renouvellement du doute. Il se trouve alors dans une attitude de méfiance et de défiance à l’égard de ses propres certitudes et du contexte de son action.
Partie 2 : La libération du doute.
a - La table rase.
Le doute est toutefois une position inconfortable, qui n’est pas tenable dans l’existence. Le doute frustre et rend la vie impossible : il déclenche donc une réaction de lutte et de refus, au regard de laquelle l’urgence de l’action se retourne contre le doute lui-même.
b - La démarche logique.
Le doute oblige alors à repenser à neuf les fondements de sa démarche : il est producteur d’une méthode et enjoint de s’assurer de chacune des erreurs potentielles. Le doute produite un besoin de rationalité, et aide à se construire intellectuelle.
c - De la liberté intellectuelle à la liberté réelle.
Le doute profite alors à celui qui sait le pratiquer. Pouvoir critique, il permet d’agir en connaissance de causes. Quand bien même l’erreur est toujours possible, celui qui doute possède un critère d’action, et apprendra de ses propres erreurs. Le doute est donc un facteur de liberté réelle pour celui qui appréhende son action.
Partie 3 : Le cercle vicieux du doute et de la liberté.
a - La logique de l’affirmation de soi.
Si le doute est bien une méthode d’affirmation logique, il en ressort alors que le doute conduit à une affirmation plus forte encore de celui qui se pense ainsi libre. Après avoir douté, l’être libre n’a plus de raisons de douter, et sa liberté lui paraît alors d’autant plus solide et inattaquable.
b - Le prix de la certitude.
Le doute produit donc une liberté oublieuse de la fragilité de la raison. Non seulement en effet le doute ne prémunit pas de toute erreur possible (quand bien même elle la prévient mieux), mais tout ce qui ne se plie pas aux règles de la raison n’a pas droit de cité dans le choix du libre-arbitre. Le doute n’affirme donc qu’une liberté rationnelle, hermétique par exemple à la logique des sentiments, des émotions et des valeurs les plus intîmes.
c - Le risque d’une liberté rationnelle.
La liberté que produit le doute est donc une liberté froide : celle de celui qui sait calculer et construire toutes les raisons justificatives de son comportement. Or être libre, est-ce simplement faire ce que l’on sait être bon et justifié, et n’est-ce pas plutôt pouvoir faire ce que l’on veut, quitte à ne pas avoir de bonnes raisons pour cela ? Ne faut-il pas se méfier de ce qui n’est que rationnel ? Le rationnel semble ici rencontrer une limite ultime : de ne pouvoir rencontrer un assentiment tenant bien souvent plus du sentiment que de la raison.