L'analyse du professeur
Dans la Grèce Antique, se faire bannir de la cité est synonyme de mort : en dehors de la cité, point de salut. La cité est en effet le seul moyen de vivre, puisqu’une existence solitaire revient à affronter seul les nécessités naturelles de la vie. Se retrouve ici la conviction chère à Aristote, selon laquelle « l’homme est un animal politique », ce qui revient alors à supposer que le monde humain se résume à la cité de son existence.
La citation de George Duby, « La ville est politique », ne semble alors s’apparenter qu’à une tautologie, affirmant, à l’image de la couleur du cheval blanc d’Henri IV, que la ville est une ville, ville se traduisant d’ailleurs « polis » en grec. Pourtant, il semble également possible de déceler, derrière cette boutade, une difficulté réelle : la réduction de la ville à sa rôle politique semble en effet faire de ce lieu géographique un lieu strictement caractérisé par un rapport politique. Autrement dit, pourquoi considérer que la ville a une nature politique, plus qu’économique, ou esthétique par exemple ? Ne faut-il pas considérer que la vie n’est pas plus politique que tout autre lieu de vie humaine, puisque désormais les hommes ne vivent plus seulement dans l’espace urbain ? Le problème que semble recouvrir la citation est donc de réduire la ville à sa fonction première (le berceau de l’existence sociale), en ne comprenant pas que cette fonction n’est qu’une condition de possibilité d’une existence authentiquement humaine, ne se réduisant pas, de fait, à être le vecteur d’une relation sociale.
Nous chercherons ainsi à montrer que si la ville est politique par nature (I), il reste que cette nature politique ne suffit pas à la caractériser (II), et a même tendance à en occulter la réalité existentielle (III).
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Plan proposé
Partie 1 : La ville est politique.
a - La ville est le lieu de protection de l’humanité.
Sans les enceintes de la ville, l’humanité n’aurait pas pu se développer, et les peuples se protéger des dangers de la nature ou des civilisations. La ville est en ce sens un lieu de vie devenu naturel, puisqu’il est le cadre du développement technique et scientifique des outils nécessaires à la vie humaine. C’est ainsi par la ville que l’homme devient un animal politique.
b - La ville est le lieu du développement de la culture.
La ville permet ainsi à l’homme de devenir réellement homme, c’est-à-dire de se développer selon ses désirs, et non plus selon ses besoins. L’homme cultivé est en ce sens un produit politique de la ville, qui n’aurait pu, sans les relations sociales qu’elle permet, accéder à une telle compréhension de soi.
c - La ville est le symbole de l’achèvement de l’homme.
La ville est ainsi, selon la logique de la naissance et du développement de l’homme, le lieu d’achèvement de l’homme, puisqu’elle seule est à même de donner tous les moyens à l’homme de se réaliser, en comprenant toutes les contraintes de la coopération sociale, et en bénéficiant de tous ses fruits.
Partie 2 : L’espace urbain, au-delà du politique.
a - La ville est économique.
La réalité de la ville, comme lieu de réalisation de l’homme par les contacts qu’il développe avec ses prochains, conduit toutefois à ignorer ce qui semble réellement caractériser l’existence urbaine, à savoir le rapport d’échange économique. En ce sens, les règles politiques et l’existence politique ne sont que la surface d’une existence concrète d’abord économique.
La ville est apolitique.
Cette analyse de la ville en fait donc non un lieu formel de rencontre des représentations et des idéologies politiques, mais le lieu réel de construction de rapports effectifs. Autrement dit, la réalité de la ville ne se situe pas dans les règles politiques de son fonctionnement, mais dans les échanges effectifs qui partagent les hommes, et les poussent à coopérer réellement.
La ville est antipolitique.
À cet égard, il semble même que la ville ne puisse être politique par nature, puisque sa désignation politique n’est qu’un artefact, qui ignore la réalité de son existence. En ce sens, penser politiquement la ville, c’est ignorer la façon dont se construisent les rapports sociaux, c’est-à-dire cacher une réalité économique derrière des principes politiques.
Partie 3 : Vivre la ville
a - La ville se réduit à ses acteurs.
Néanmoins, la définition économique de la ville semble engager à ne la comprendre que sur le mode de l’échange social extérieur aux hommes eux-mêmes, et non telle qu’elle est vécue pas les hommes, qui seuls donnent sa vie à la ville.
b - La ville est l’ensemble des perspectives qui la désignent.
En ce sens, la ville ne peut se réduire à une désignation objective : elle n’est que l’ensemble des représentations qui la visent, et ne saurait être autre que la totalisation des points de vue produits par ceux qui la vivent.
c - L’esthétique de la ville.
La ville ne serait alors ultimement qu’une représentation esthétique, c’est-à-dire d’abord une impression faite à l’acteur social, au moyen de laquelle il possède une représentation de la société, et renvoie une représentation de lui-même à la société.