L'analyse du professeur
Dans Le Barbier de Séville, Figaro, ingénieux valet du Comte Almaviva, est l’indispensable médiateur des amours brûlantes de ce dernier pour Rosine. La société de cour semble en ce sens obliger à de telles médiations, puisque rien ne peut se faire sans masque et sans fard. Il pourrait sembler qu’une telle époque fait désormais partie des souvenirs courtois de la politesse sociale du passé, et que seul a triomphé l’individu transparent, confronté à l’authenticité de sa relation à l’autre. Pourtant, la médiation semble avoir de beaux jours devant elle : le médiateur de la République ne cesse de faire face à un nombre croissant de sollicitations directes, et les procédures de médiations judiciaires sont de plus en plus souvent conçues comme des alternatives aux règlements judiciaires mineurs.
Faut-il alors considérer que la médiation est particulièrement important dans notre société contemporaine ? Pourquoi avoir recours à des médiateurs, s’il est désormais possible de tout se dire, c’est-à-dire de se considérer comme des égaux ? Nos sociétés se sont-elles à ce point atomisées qu’il est désormais nécessaire de ne considérer autrui que comme un étranger qu’un tiers seul peut me rendre accessible ?
Si la médiation semble le dernier recours du dialogue, au seuil de la justice, l’importance contemporaine d’une telle médiation semble alors le symptôme de sociétés judiciarisées mais engorgées (I). Pourtant, la médiation ne remplace pas le règlement judiciaire : elle est plutôt la poursuite d’un dialogue, dont l’importance tient à la difficulté de maintenir un tel échange dans des sociétés libérales (II). Il semble en ce sens difficile de considérer la médiation comme fondamentale, puisqu’elle ne possède aucune force propre, et semble alors conduire à des solutions de compromis valables uniquement pour ceux qui en ont le souhait (III).
[...]
Plan proposé
Partie 1 : La médiation comme désengorgement des tribunaux.
a - La judiciarisation des sociétés contemporaines.
La cause négative de la médiation est à relier au fait que dans des sociétés démocratiques, le règne de l’égalité tend à niveler toutes les instances d’autorité, de telle sorte qu’il devient impossible de régler les conflits autrement que par le recours à la justice.
b - La médiation comme tampon.
En ce sens la médiation met fin au règne de la violence privée, et établit la lieu de la communication devenue impossible. Le médiateur est celui qui n’incarne aucune position ou partie, mais le dernier rempart avant l’autorité souvent conçue ou représentée comme aveugle.
c - La médiation comme neutralité.
Il est en ce sens nécessaire de concevoir la médiation comme le recours à une procédure de neutralisation des différences, neutralisation s’incarnant dans le fait de demander à médiateur de relayer une parole devenue impossible.
Partie 2 : La médiation comme reprise du dire.
a - La médiation comme mise en commun
Il semble toutefois que la médiation autorise la parole à reprendre ses droits, et que le but de la médiation se situe par-delà le médiateur, dans la reprise d’un univers de signification commun aux protagonistes du dialogue rompu.
b - La médiation comme construction.
La médiation est donc importante parce qu’elle aide à construire un monde humain, contre la barbarie de la violence. Le médiateur possède donc le sens de l’humain, et sait reconstruire ce rapport si fragile de la compréhension.
c - La médiation comme réconciliation.
Le but ultime de la médiation est donc la réconciliation, c’est-à-dire la création d’une communauté de valeur seule à même de donner un avenir. Dès lors, la médiation est le symbole d’un progrès indissociable de l’humanité vers sa propre réalisation.
Partie 3 : Les limites de l’importance de la médiation.
a - La médiation comme menace.
La médiation judiciaire est toutefois le témoin du dernier recours, et les protagonistes qui y sont obligés par la loi savent bien qu’ils sont contraints à l’entente, avant un règlement judiciaire qu’ils craignent réciproquement parce qu’ils en ignorent l’issue.
La médiation comme faux compromis.
La médiation n’oblige donc qu’à un compromis de façade, c’est-à-dire à une parole de consensus qui n’emporte pas nécessairement la conviction de ceux qui s’y résignent. La communication est en ce sens factice, et ne permet pas un réel dialogue, en dehors des limites de la contrainte.
La médiation vaine.
Le recours à la médiation n’a ainsi qu’une importance relative, puisque le dialogue rétabli n’a eu que pour but de se borner à l’objet du litige. La médiation signifie en ce sens un simple arrachement à une violence inhérente au conflit, et elle n’avoue que l’impuissance du dialogue, dans des sociétés réunissant de moins en moins de hommes de bonne volonté, et de plus en plus des contractants judiciaires.