L'analyse du professeur
La science suscite les espoirs autant qu’elle attise les inquiétudes. Les exemples de cette ambiguïté ne manquent pas pour montrer à quel point les découvertes scientifiques peuvent avoir des conséquences dévastatrices, à la fois lorsqu’elles sont mal utilisées ou utilisées à des fins moralement condamnables, mais également lorsqu’elles sont mal contrôlées. Dès lors, il semblerait évident qu’il y ait toute raison de se méfier de la science. Toutefois, se méfier de la science peut apparaître comme particulièrement problématique, tant notre monde est façonné par les découvertes scientifiques et les innovations techniques et tant il est serait difficile de se dispenser de ces transformations artificielles du monde naturel.
On peut en ce sens centrer tout le problème de ce sujet dans l’interprétation de la formule avoir raison, qui peut donner lieu à deux lectures possibles. En effet, on peut se demander s’il est rationnel de s’inquiéter du fait que les sciences progressent, sachant que le progrès a une connotation positive puisqu’il désigne l’amélioration de la connaissance. Peut-on, autrement dit, considérer qu’il est rationnel de s’opposer à la marche de la raison telle qu’elle est incarnée par le progrès des découvertes scientifiques ? À l’inverse, au plan moral, il peut sembler raisonnable de s’inquiéter du progrès scientifique, tant les conséquences possibles du progrès des sciences, à savoir son utilisation technique, peut apparaître comme dangereuse, voire immorale. Autrement dit, on peut avoir des raisons morales de se méfier des conséquences négatives du progrès rationnel des sciences.
[...]
Plan proposé
Partie 1
a
Il peut tout d’abord sembler que le progrès des sciences n’est pas contraire à la raison ou irrationnel puisqu’il consiste en une amélioration de la compréhension des lois de nature et des phénomènes naturels. Dès lors, c’est la façon dont la raison cherche à expliquer les phénomènes qui produit les règles scientifiques, et il semblerait contradictoire que la raison aient des raisons de s’y opposer.
b
Par ailleurs, si la science apprend à rationaliser le monde, c’est parce que l’homme à l’ambition de se fonder sur cette connaissance pour mieux agir. Est-il alors déraisonnable de chercher à mieux agir et à mieux se comporter ?
c
Dès lors, tout discours qui s’oppose à la science et engage à la méfiance est peut-être un discours qui répond à des motifs, mais il serait impossible de justifier rationnellement ces motifs. La science est de la connaissance dont il paraît faux de dire qu’il peut y avoir là facteur d’inquiétude.
Partie 2
a
Le problème apparaît toutefois sensiblement plus complexe lorsque l’on songe à l’utilisation dangereuse des découvertes scientifiques. Nul ne pourrait en effet nier que les découvertes scientifiques ont permis des usages techniques excessivement meurtriers, volontairement ou non, et qu’il y a au moins des raisons de se méfier de ce qui a clairement été avéré comme dangereux dans notre passé.
b
Par ailleurs, il apparaît clairement que les moyens mis à disposition par les découvertes scientifiques font craindre que l’homme possède à présent les moyens de détruire tout son milieu, quand bien même il est impossible d’évaluer précisément et rationnellement.
c
Enfin, il semble que le fait de soumettre l’analyse du progrès scientifique à une grille de lecture strictement rationaliste empêche de penser les moyens de mesurer les risques d’un progrès scientifique, parce que ces risques dépassent justement la mesure de la raison.
Partie 3
a
Il apparaît dès lors difficile de justifier rationnellement la méfiance à l’égard de la science, non seulement parce qu’il serait illusoire de croire que l’homme peut se passer de la science ou même en limiter fondamentalement le progrès,
b
mais également et surtout parce que cela conduirait à un discours passionnel ou sentimental qui ne permet pas de construire une conception mesurée du progrès.
c
À cet égard, la méfiance à l’égard du progrès appelle une réflexion politique et morale au sujet des usages possible des découvertes scientifiques. S’il doit se méfier de la science, c’est en recherchant les moyens d’en encadrer l’application technique et la diffusion publique.