L'art nous est-il plus nécessaire que la technique ?

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L'analyse du professeur


L’urinoir de Duchamp est une œuvre désormais symbolique d’un tournant de l’art, qui serait ainsi devenu détaché de sa vocation esthétique classique, et ne devrait plus être considéré comme un moyen d’embellir le monde, ou même de le décrire, avec talent ou génie. Dans ce tournant, l’art est vraisemblablement devenu un monde à part, inconnu et partiellement hermétique, dont la gratuité et la provocation semble conduire à la confidentialité. À cet égard, si l’art n’a jamais semblé particulièrement indispensable à la satisfaction des premiers besoins de l’humanité, il apparaît aujourd’hui largement déconnecté des préoccupations du commun des mortels, au poins que se demander s’il pourrait être plus nécessaire que la technique semble relever de la gageure. Pourtant, bon nombre de théoriciens de l’art ont pourtant prétendu à l’utilité de l’art, voire à la nécessité d’accorder une priorité à la vision esthétique du monde, seule capable, comme le disait Dostoïevski, de « sauver le monde ». Pourquoi revendiquer une telle supériorité d’un art, qui paraît par ailleurs peu compris de la masse ? Comment penser la fonction de l’art ? Nous nous efforcerons de montrer que l’art ne peut être considéré comme supérieur à la technique, sauf à inverser un ordre de priorités qui ne respecte pas le cycle naturel des besoins humains. Cependant, il nous faudra constater que cette perception de l’existence humaine est fondamentalement restrictive et pauvre, et assimile l’intérêt de la vie à une opération technique bornée aux finalités naturelles, ce qui n’est par ailleurs pas évident du tout. Dès lors, nous en viendrons à montrer que la supériorité technique n’est qu’une supériorité instrumentale, qui ne dépend pas seulement d’un choix de confort, mais également d’une illusion quant au sens de la vie même.

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Plan proposé

Partie 1 : L’art, un domaine qui ne permet pas de répondre aux premières nécessités de l’existence humaine, à la différence de la technique.

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L’art ne satisfait pas les besoins animaux : il n’existe que dans un monde de culture, dans lequel l’homme a justement pu s’assurer techniquement de développer les moyens primaires de son existence. La technique est donc une intelligence pratique conditionnant le développement de l’art, qui reste un lieu de confort et de plaisir.

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L’art ne satisfait pas même les premiers besoins intellectuels. Si la fonction de l’art est de présenter des œuvres réalisées par des artistes, l’art ne sert pas le désir de comprendre, mais au mieux celui de contempler et de voir. L’art ne peut donc être le premier produit d’un besoin intellectuel, et seule la technique, en tant que réalisation fondée sur des lois scientifiques, exprime une compréhension intelligente du monde, qui se développe ainsi nécessairement avant le besoin esthétique.

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L’art reste de l’ordre de la subjectivité : une œuvre d’art est en effet le produit d’une façon de voir et de penser les choses. Elle ne peut prétendre raisonnablement rivaliser avec la logique dont procède la chose technique. L’art ne peut relever donc de cette nécessité logique qui traverse le regard technique et conduit à consolider les bases du bien-être.

Partie 2 : L’art, un regard fondamentalement humain sur les choses.

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Malgré les déficiences précédentes, l’art ne cesse de séduire : il enjolive la réalité, et permet de dépasser la morosité des choses. Il apprend à l’homme à mieux vivre son rapport immédiat au monde. À cet égard, l’art compense ce que la technique ne peut toujours offrir, ou améliore ce qu’elle ne rend que possible.

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Par ailleurs, l’art fournit à l’homme l’imagination et le rêve. Les objets de l’art sont des objets culturels qui arrachent l’homme à son quotidien, purement peuplé d’objets techniques et utiles. L’art relève en ce sens d’une nécessité culturelle ou intellectuelle.

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Enfin, l’art, parce qu’il est gratuit et de prime abord inutile, possède cette nécessité paradoxale de l’inutile, qui fournit à l’homme du plaisir et de la détente, et le conduit ainsi à ne pas borner son existence à une intelligence technique des choses. L’art conduit l’homme à se distinguer des bêtes et de l’existence immédiate, réduite aux besoins ou à la quête du confort.

Partie 3 : La nécessité de l’art : une compréhension authentique du monde.

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L’art est ainsi un moyen de voir le monde autrement, ou d’apprendre à ne pas considérer les choses sous l’angle simple de l’utilité qu’elles ont pour nous. L’art ne concurrence pas seulement la perception technique des choses : il la supplante, et fait comprendre à celui qui n’analyse que techniquement le monde, que son analyse reste servile d’un besoin d’efficacité.

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Dès lors, l’art apprend à mettre à distance le besoin de consommation, il apprend à éduquer la sensibilité esthétique, et à ne plus dépendre strictement de la jouissance matérielle. L’art relève d’une nécessité esthétique et éthique, selon laquelle l’homme technique apprend qu’il ne pourra trouver le sens de son existence dans la quête infinie des objets.

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La nécessité de l’art ne peut donc être mise au même plan que la nécessité technique. Il est évident que l’art a une nécessité originale, proprement humaine et éthique, qui ne peut supplanter celle, instrumentale, de la technique, telle qu’elle améliore le confort de la vie humaine. Toutefois, la nécessité de l’art rappelle à l’homme qu’il doit se poser la question du sens des choses, et ne peut trouver l’intérêt de son existence qu’en fonction d’un certain regard d’esthète sur les choses.