L’action politique est-elle un travail ?

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L'analyse du professeur


Lorsque Zola écrit « J’accuse », il sort de son domaine direct de compétence pour exprimer une opinion, pour agir politiquement aux yeux de tous en tant que citoyen. Il se sert donc de sa notoriété pour prendre parti en tant qu’intellectuel, mais la figure de l’intellectuel qu’il contribue alors à forger n’est pas la figure d’un spécialiste ou d’un professionnel. Pourtant, il apparaît également que sa prise de position a fait date parce qu’elle a dépassé la simple opinion pour proposer une analyse pertinente des dérives de la République française. Il y a donc bien une forme d’expertise, un travail de la pensée, qui a donné toute sa puissance à l’action politique de l’intellectuel. À cet égard, se pose la question de savoir quelle est la nature de l’action politique. En tant qu’elle concerne les affaires de la cité, c’est-à-dire ce qui est commun à tous, elle paraît concerner tout le monde et ne pas être réservée à des spécialistes, à des professionnels. Mais en tant que le discours sur les modalités de l’existence commune semble requérir une compétence politique, elle semble relever d’un travail particulier, d’une connaissance politique réservée à des professionnels du bien public. S’interroger sur le point de savoir si l’action politique est ou non un travail semble ainsi particulièrement judicieux. Nous ne pourrons répondre à cette question qu’en nous interrogeant sur ce qui fonde une telle action (sa finalité) et sur ce qui la permet (ses moyens). Autrement dit, nous devrons nous interroger sur les conditions de possibilité d’une telle action pour tenter de comprendre si elle est réservée à des spécialistes ou peut concerner n’importe quel citoyen doué de parole. Nous nous attacherons tout d’abord à montrer que l’action politique semble être une action naturelle de l’homme comme animal politique, et qu’elle n’implique en ce sens aucun travail spécifique autre que celui de la réflexion sur le bien commun. Néanmoins, nous montrerons ensuite qu’une telle conception de l’action politique risque les débordements les plus graves : faire de la politique en dilettante apparaîtra ainsi comme un manque de sérieux particulièrement dangereux pour la stabilité de la société. À l’inverse, nous constaterons également que le fait de réserver l’action politique à ceux qui en sont des professionnels risque de rendre le pouvoir étranger à ceux qu’ils gouvernent.

[...]

Plan proposé

Partie 1

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L’action politique est une action physique ou intellectuelle dans la cité et pour la cité. À cet égard, il est possible de dire que l’action politique n’est pas réellement un travail (au sens d’une occupation de vie à part entière) mais est une condition de vie et de réalisation de soi qui ne requiert pas une formation professionnelle particulière. En effet, comme l’explique Aristote dans Les politiques, tout homme est par nature un animal politique, c’est-à-dire un animal dont la condition de survie passe par l’association avec les autres,

b

ce qui implique qu’il est amené à comprendre les raisons de son existence collective et doit accepter des règles auxquelles il s’adapte par un travail sur lui-même

c

afin de parvenir à comprendre les exigences d’une vie politique et d’y contribuer par son travail et ses modalités d’existence.

Partie 2

a

Le problème de cette définition de l’action politique est qu’elle semble autoriser tout homme à exprimer son opinion la plus immédiate et la moins informée.

b

Dès lors, il conviendrait de constater que l’action politique requiert plus qu’une existence naturelle de l’homme et appelle une connaissance structurelle et précise de la compatibilité entre les hommes qui existent dans un espace commun. Il convient en ce sens de faire la distinction entre l’existence politique naturelle de l’homme sans travail particulier et une action politique spécifique qui est la formation des dirigeants eux-mêmes.

c

Comme le montre Machiavel, la politique repose sur une « virtu » particulière qui n’est pas qu’un don de l’homme politique, mais est véritablement un travail et une habitude.

Partie 3

a

La limite d’un tel raisonnement est de conduire à une séparation dangereuse entre les professionnels de la politique et les hommes du commun, les simples citoyens. Comme le signale Marx, ne faut-il pas penser que l’action politique d’une classe particulière, ou réservée à certains décideurs, risque de conduire à une aliénation de l’homme par l’homme ?

b

Ce risque semble impliquer que l’action politique doit prendre en compte l’opinion sans forcément s’y résumer. Toute action politique serait alors une double travail : celui de la conscience politique de chaque citoyen, et celui du spécialiste en matière de politique.

c

Dès lors, comme le montre Habermas, dans le concept de démocratie délibérative, une action politique juste (et non arbitraire et dogmatique) ne peut être qu’une action qui pense le bien commun à partir d’une délibération entre les citoyens. Le travail de l’action politique est donc de comprendre l’ensemble des revendication politiques pour leur donner un sens pratique.