L'analyse du professeur
La façon dont Descartes propose de définir l’homme comme sujet conscient pose problème, dans la mesure où sa manière d’envisager l’action humaine le conduit alors à faire du sujet un être responsable, qui n’aurait d’autre choix que de rationaliser son action afin de maîtriser l’ensemble des conséquences qui pourraient en découler. Ce fantasme de la maîtrise de soi est pourtant problématique, dans la mesure où la conscience est souvent bien fragile, et ne semble pas systématiquement en mesure de saisir l’ensemble des raisons déterminant l’action.
Dès lors, il apparaît, à l’instar du texte de Locke ici soumis à notre étude, que le sujet conscient pourrait tout aussi bien être un fantasme ou une illusion, sur laquelle il deviendrait impossible de compter pour évaluer la responsabilité de la personne. Cette d’ailleurs la thèse que défend Locke, qui montre ici que le droit ne peut s’embarrasser pleinement de psychologie, et doit se fonder sur des faits décrivant l’action de la personne, avant que d’entrer dans la considération morale de ses intentions morales. Bien évidemment, la distinction est problématique, puisqu’elle tend à ne pas permettre de saisir les excuses de responsabilités, et à ne pas remarquer que la maîtrise de l’action est parfois très difficile à obtenir. Fonder la justice sur les faits ne risque-t-il pas en ce sens d’être injuste, puisque tout individu n’est pas moralement responsable de l’ensemble des faits qu’on peut objectivement lui imputer ?
Nous nous attacherons à montrer que Locke met d’abord en lumière le problème, en indiquant combien est difficile la définition de la personnalité à partir du principe de la conscience. Nous en viendrons ensuite à comprendre que Locke défend l’idée d’un fondement objectif de la conscience, en montrant que les lois ne peuvent s’appuyer que sur des faits. Nous finirons enfin à montrer que le texte distingue soigneusement la justice humaine de la justice morale, afin de sauvegarder les excuses de responsabilités dont peut bénéficier un sujet qui n’est pas toujours omniscient.
[...]
Plan proposé
Partie 1
a
Mais l'homme saoul et l'homme dessaoulé ne sont-ils pas la même personne?
La question peut paraître surprenante, dans la mesure où il semble évident que les deux hommes sont les mêmes. Contre une telle intuition « naturelle », Locke sous-entend ici qu’il faudrait définir la personne en fonction d’un autre critère que celui dont le sens commun se sert habituellement, et poser le problème de l’unité réelle de celui qui cherche à se penser de façon consciente.
b
Autrement, pourquoi serait-il puni pour les faits qu'il a commis quand il était saoul, alors qu'il n'en sera plus jamais conscient par la suite?
Le problème devient ici explicite : il s’agit de se demander dans quelle mesure la conscience est structurante de l’identité ou de la personnalité. Si nous avons tendance à nous penser comme le produit d’une unité consciente, peut-être faut-il alors prendre au sérieux cette conscience, et déterminer l’unité de la personne à partir de la possibilité de synthétiser sous une même conscience l’ensemble des actes produits.
c
Il est la même personne, comme un somnambule est la même personne et donc responsable de tout méfait qu'il commettrai pendant son sommeil:
À l’inverse, le principe de la personnalité pourrait être fondé sur autre chose que la conscience, comme l’unité corporelle ou de mouvement telle qu’elle se manifeste dans le somnambule.
Partie 2
a
dans les deux cas, les lois humaines punissent selon une justice qui dépend de ce qu'elles peuvent connaître;
Résoudre ce problème de l’unité de la conscience n’est pas seulement un problème théorique, puisqu’il s’agit de se poser alors la question du fondement de la compréhension de l’homme, et de sa pénalisation éventuelle, dans le domaine judiciaire par exemple. Locke montre qu’il n’est en ce sens possible de fonder les lois que sur une connaissance réelle de l’homme.
b
ici elle ne peuvent avec certitude faire la différence entre ce qui est réel et ce qui est contrefait, et quand on a été ivre ou endormi, l'ignorance ne peut être une excuse.
Cette connaissance réelle doit être une connaissance distincte et assurée, qui ne peut laisser place aux incertitudes : elle doit donc faire en sorte de ne pas laisser subsister de doute quant à ce qui fonde son efficacité, raison pour laquelle la question de la conscience effective ne peut être le seul critère de la responsabilité pénale en particulier, et de la personnalité en général.
c
Certes la punition est liée à la personnalité, et la personnalité à la conscience, or, l'ivrogne n'a peut-être pas été conscient de ce qu'il faisait;
Il reste toutefois indéniable que l’altération de la conscience peut jouer un rôle sur l’agir, et qu’il faut la prendre dans une certaine mesure en compte dans les circonstances du jugement, pour déterminer le degré de maîtrise et la clarté de la représentation que pouvait posséder un individu lors de son action.
Partie 3
a
les tribunaux humains le puniront cependant à juste titre, car le fait plaide contre lui, mais le manque de conscience ne peut plaider en sa faveur.
L’excuse de conscience n’est toutefois pas une excuse valable et valide, dans la mesure où elle n’est qu’un principe psychologique là où l’action de l’individu se traduit d’abord par des faits réels, mesurable et identifiables.
b
Au dernier jour au contraire, quand les secrets de touts les coeurs seront manifestés, on peut penser avec raison que personne ne sera tenu pour responsable de ce qu'il ignore totalement;
La responsabilité morale réelle de l’individu, et son degré de conscience, ne sont pas pour autant des questions dénuées d’importance, tout au contraire, puisqu’elles sont des questions détenant la clé réelle de la responsabilité et de l’action de l’individu. Toutefois, seul un principe divin peut accéder à une telle connaissance, qui ne peut faire l’objet de la recherche juridique.
c
il recevra selon sa conscience ou l'excuse.
La fin du texte signifie ainsi qu’il ne peut y avoir de conscience morale et authentique sans que l’individu puisse assumer ce qu’il a fait, et la part de responsabilité qu’il y porte. Autrement dit, si le domaine des lois permet de juger en pratique et de façon opérationnelle du comportement des hommes, seule la loi morale et le jugement dernier contiennent en tant que tel la vérité de l’homme.