Plan proposé
Partie 1
a
« Et comme il faut assumer nécessairement pour changer, le refus romantique de la maladie par le malade est totalement inefficace. »
S s’attaque ici à une position romantique au sens général du terme (et non au sens du courant littéraire), consistant à désigner un attachement sentimental à une chose (à la différence d’une construction rationnelle de la conviction). Rapporté à la maladie, cette position signifie qu’il y aurait un attachement sentimental à la santé qui porterait à refuser la maladie, et à considérer l’intégrité du corps physique comme la condition nécessaire et exclusive d’un bien-être. Une telle position est problématique puisqu’elle se trouve démunie dans le cas de la maladie, puisqu’elle refuse d’analyser et de comprendre la maladie, et ne peut donc que conduire à une conscience malheureuse de son existence.
b
« Ainsi y a-t-il du vrai dans la morale qui met la grandeur de l'homme dans l'acceptation de l'inévitable et du destin. »
Une position conséquente (qui « assume ») sur la maladie est donc une position selon laquelle il ne faut pas refuser la situation présente (en s’attachent à un fantasme de réalité, confinant à une représentation utopique). Cette position permet en ce sens de comprendre ce qu’il peut y avoir de vrai et de pertinent dans la morale (étant donné, par ailleurs, que Sartre se caractérise par sa critique radicale du point de vue moral comme point de vue aliénant la raison à une position de principe ou d’autorité) : l’acceptation du présent comme chose inévitable (comme donné que doit affronter et appréhender la conscience pour construire l’identité du sujet).
c
« Mais elle est incomplète car il ne faut l'assumer que pour la changer. Il ne s'agit pas d'adopter sa maladie, de s'y installer mais de la vivre selon les normes pour demeurer homme. »
Le refus sartrien d’une position morale classique (qui reste dogmatique à ses yeux) apparaît ici, puisque S montre que la position morale n’est en quelque sorte qu’une seule des deux faces du problème : elle assume le présent, mais le rend en quelque sorte indépassable, en considérant que ce présent est fatal. La position morale dévalue l’existence humaine, puisqu’elle reste fixée sur une norme unique de vie, et considère donc celui qui est malade comme une sorte d’infirme privé d’une partie de sa capacité d’existence. Tout au contraire, S prône le changement, c’est-à-dire qu’il en appelle à une réaction normative, qui laisse ici à penser que l’homme aurait les capacités de produire une autre représentation de l’existence, qui donnerait au malade les moyens de restaurer cette existence (et de ne plus la concevoir comme appauvrie).
Partie 2
a
« Ainsi ma liberté est condamnation parce que je ne suis pas libre d'être ou de n'être pas malade et la maladie me vient du dehors ; elle n'est pas de moi, elle ne me concerne pas, elle n'est pas ma faute. »
S ancre ainsi paradoxalement la conscience de la liberté dans celle de l’aliénation première à un présent fatal. Cette thèse, que l’on trouve formulée par exemple dans L’existentialisme est un humanisme, consiste schématiquement à considérer que la liberté ne parvient à sa réalité et à son expression qu’à la condition de s’éprouver, c’est-à-dire de faire face à l’adversité et de se donner les moyens de la dépasser. La liberté n’existe ainsi que face à la contrainte (sans quoi il s’agit d’une représentation métaphysique sans contenu), et dans la mesure de la possibilité de dépasser cette contrainte. Par ailleurs, cette liberté se construit dans l’expérience d’une forme d’injustice : la contrainte à laquelle je suis confronté n’est pas de ma faute, ne relève pas de mon choix. La liberté procède donc d’une révolte contre ce qui m’est imposé, et auquel je suis incapable donner des raisons morales.
b
« Mais comme je suis libre, je suis contraint par ma liberté de la faire mienne, de la faire mon horizon, ma perspective, ma moralité, etc... »
La liberté s’origine ainsi dans la nécessité pour la conscience de faire face à l’injustice de ce qui m’est imparti sans que je le choisisse. La liberté est donc une contrainte en soi, puisqu’elle procède de la réaction nécessaire à une contrainte. Paradoxalement, l’exercice de ma liberté est dès lors le résultat d’une double contrainte : extérieure (le présent qui m’est imposé) et intérieure (le choix que je dois faire pour répondre à la contrainte extérieure).
c
« Je suis perpétuellement condamné à vouloir ce que je n'ai pas voulu, à ne plus vouloir ce que j'ai voulu, à me reconstruire dans l'unité d'une vie en présence des destructions que m'inflige l'extérieur [...]. »
L’analyse de S procède ici implicitement d’une position phénoménologique (« l’existence précède l’essence ») au regard de laquelle un homme est un être nécessairement limité (finitude), qui n’a de conscience qu’à la mesure de la donation du monde sensible à cette conscience. L’homme ne possède donc pas de certitude absolue, mais il est constamment contraint de construire une intelligence du contexte dans lequel il est, et de trouver la solution à la diversité parfois contradictoire des choses qui se manifestent à lui. En ce sens, l’extérieur inflige des destructions puisqu’il condamne la conscience à renouveler ses représentations, et à la reconstruire sans cesse sur la ruine des certitudes passées.
Partie 3
a
« Ainsi suis-je sans repos : toujours transformé, miné, laminé, ruiné du dehors et toujours libre, toujours obligé de reprendre à mon compte, de prendre la responsabilité de ce dont je ne suis pas responsable. »
La thèse de la responsabilité que développe ici S est une thèse limite, selon laquelle la définition phénoménologique du sujet libre (condamné à être libre puisque obligé de penser sans cesse les conditions nouvelles de sa liberté) implique de concevoir ce sujet comme un « pro-jet », c’est-à-dire comme un être obligé de forger des représentations nouvelles ayant pour but de com-prendre le monde dans lequel il vit, afin de définir les conditions d’une action rationnelle. L’homme doit donc répondre (res-ponsabilité) de choses qui lui sont imposées sans qu’il les choisissent.
b
« Totalement déterminé et totalement libre. Obligé d'assumer ce déterminisme pour poser au-delà les buts de ma liberté, de faire de ce déterminisme un engagement de plus ».
La définition de la responsabilité conduit ainsi à une théorie de l’engagement, qui ici porte sur le malade, mais concerne également et plus généralement le rapport de tout homme libre à ses conditions de vie. L’engagement repose à ce titre sur un paradoxe, au regard duquel un déterminisme total (a priori incompatible avec la liberté) enjoint à une liberté totale (a priori également incompatible avec le fait de se savoir déterminé). Il est possible de dépasser ce paradoxe en considérant que l’énigme du rapport déterminisme / liberté (je me sais déterminé, mais je me sens libre tout à la fois) ne peut être tranchée que pratiquement, lorsque le sujet choisit d’affirmer son action au-delà de la contrainte qui la détermine. L’engagement est donc une liberté qui se fixe des buts.
Conclusion
Ce texte, qui pose le problème de la liberté à partir du cas de la maladie, est ainsi éminemment représentatif de la philosophie sartrienne de la liberté. Il affirme en effet une thèse radicale de la liberté existentielle ne pouvant exister qu’à la condition de la conscience de la réalité d’un conditionnement ou d’une contrainte. Dès lors, de façon analogue au fait que les français n’ont « jamais été aussi libres que sous l’occupation », le corps humain n’est jamais aussi proche de comprendre les conditions de sa liberté que lorsqu’il est agressé par la maladie.
Presque paradoxalement, S rejoint ici une forme de conviction romantique (celui de l’énergie chez Stendhal par exemple): la force d’une existence dépend moins de sa longévité que de son intensité. La liberté n’est ainsi possible qu’à la condition de l’affirmation d’une conscience de la contrainte, et de la nécessité de vivre avec.