Plan proposé
Partie 1 : Réductionnisme et structuration langagière.
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« Considérons un arc-en-ciel ou le spectre d'un prisme. Sur la bande colorée, le passage d'une couleur à l'autre est progressif, c'est-à-dire qu'en chaque point il n'y a qu'une toute petite différence de couleur avec les points immédiatement voisins ».
Le texte débute par un constat d’apparence anodin, qui montre que la dénomination des couleurs ne correspond pas à une réalité chromatique. Cette réalité est en effet beaucoup plus fine que ce que laissent entendre le nom des couleurs, puisqu’elle correspond à une succession indéfinie de points servant de transition entre les couleurs.
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« Et cependant un français qui décrit l'arc-en-ciel parle de teintes telles que le rouge, l'orange, le jaune, le vert, le bleu, l'indigo : la langue découpe la gradation continue de couleur en une série de catégories discrètes ».
Cette capacité de la langue à nommer les choses réelles correspond donc à une forme d’appauvrissement, ou de réduction, dont les catégories discrètes donnent alors le sentiment d’une forme de structuration du réel qui ne peut en aucun cas correspondre à la nature complexe de la réalité.
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« C'est un exemple de structuration du contenu. Rien dans le spectre ou dans la perception qu'en a l'homme n'oblige à le diviser ainsi; cette méthode spécifique de division fait partie de la structure du français ».
En insistant sur le français, l’auteur laisse entendre que les langues sont certes des outils de réduction, mais ne sont pas nécessairement égales dans leurs violences réductionnistes, puisqu’il n’y a pas de raison que les réductions soient nécessairement, dans leurs œuvres de réduction, identiques. Une langue est donc plus ou moins riche dans sa capacité à désigner la finesse de la réalité. Se trouve ainsi posé le double problème du réductionnisme, et de son approche linguistique comparative.
Partie 2 : Les catégories de la langue commune.
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« Les sujets qui parlent d'autres langues classent les couleurs de bien d'autres manières. Le diagramme suivant donne une idée de la façon dont ceux qui parlent le français, le chona (langue de la Zambie), le bassa (langue du Libéria), divisent le spectre : (…) ».
Les structures de la division de dénomination sont en ce sens révélatrices de la manière de penser de ceux qui font usage de telle ou telle langue. À cet égard, l’auteur pose implicitement la question des origines des mots, et plus particulièrement la question de la logique du besoin qui semble orienter le choix des distinctions et des catégories. Les langues traduisent donc des représentations et des besoins humains : les langues semblent utilitaires.
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« Le sujet qui parle le chona divise le spectre en trois grandes catégories (le terme cipsuka revient deux fois, mais c'est seulement parce que les extrémités rouge et indigo, qu'il range dans la même catégorie, sont distinctes sur le diagramme). Il est intéressant de remarquer que « citema » correspond aussi à « noir », et « cicena » à « blanc ». »
La catégorisation est par ailleurs utile pour saisir la logique du choix des mots eux-mêmes, qui peuvent ainsi, parce qu’ils partagent des préoccupations communes de dénomination, se ressembler. L’auteur suggère donc que la forme écrite comme orale d’un mot est liée à ce qui est exprimé, et n’est pas seulement une forme conventionnelle qui pourrait être aussi bien modifiée arbitrairement.
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« En plus de ces trois mots, il y a, bien entendu, un grand nombre de termes pour les couleurs plus spécifiques, comme en français on a « écarlate », « vermillon », « pourpre », qui sont des variétés de « rouge ». La convention qui consiste à diviser le spectre en trois parties au lieu de six ne provient pas d'une différence dans la perception visuelle des couleurs, mais représente seulement une différence dans la manière dont la langue classe ou structure les couleurs. »
Plus profondément, on peut même penser que la perception visuelle pourrait, dans la dénomination des couleurs, être mieux intégrée au langage, et ainsi donner lieu à des dénominations plus pertinentes pour saisir la nature de ce qui est perçu.
Partie 3 : Comparer les langues, dans leurs richesses et leurs économies
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« Le sujet qui parle le bassa divise le spectre de façon radicalement différente : en deux catégories seulement. Il y a beaucoup de mots pour désigner les couleurs spécifiques, mais il n'existe que ces deux termes pour les classes générales de couleur. Un français en conclura aisément que sa propre division en six couleurs fondamentales est la meilleure. Dans certains cas, c'est sans doute vrai. »
L’exemple du Bassa montre que le réductionnisme langagier est néanmoins normatif, puisqu’il sert à défendre les propriétés de certaines langues, et leur efficacité. En ce sens, peu importe qu’il soit vrai qu’une langue est particulièrement riche : elle appelle une fierté morale de celui qui la possède, et qui est capable de s’en servir pour défendre sa propre représentation des choses.
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« Mais, dans d'autres cas, cette division a des inconvénients : les botanistes, par exemple, se sont aperçus qu'elle ne donne pas de généralisation suffisante en ce qui concerne les couleurs des fleurs; ils constatent que les jaunes, les oranges, les rouges constituent une série que les bleus, les violets et les rouges violacés en forment une autre. Ces deux séries présentent des différences fondamentales qui doivent être considérées comme essentielles à toute description botanique. »
La question de la vérité du langage n’est cependant pas toujours une fausse question, dans la mesure où elle pose des problèmes scientifiques, puisque les dénominations permettent de penser et d’agir sur la réalité. En ce sens, il faut distinguer un langage commun d’un langage scientifique, ce dernier ayant le souci de rapporter les dénominations aux choses auxquelles elles réfèrent.
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« Pour pouvoir décrire les faits de façon économique, on a dû forger deux néologismes génériques : « xantique » et « cyanique » qui correspondent à ces deux séries. Le botaniste parlant le bassa n'aurait pas à le faire, car il dispose des termes « hui » et « ziza » qui divisent le spectre à peu près selon ces deux catégories. »
Il résulte de cette dualité une forme de structuration économique du langage, qui permet ainsi de distinguer les langues selon leurs facilité à articuler langue commune et langue scientifique. Ce constat pose ainsi le problème de savoir s’il est hypothétiquement possible de concevoir un usage économique de la langue au plan global, usage qui permettrait ainsi de comparer les langues selon leur pertinence et leur efficacité.