Faut-il séparer la science de la technique ?

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L'analyse du professeur


La réponse à ce sujet paraît tenir de l’évidence, dans la mesure où la technique semble se comprendre spontanément comme l’application de la science. En effet, la science se définit comme un savoir organisé permettant de comprendre la raison d’être des choses. La science est donc un discours logique qui a pour fonction d’expliquer ce que sont les choses en inscrivant ces choses dans un ordre systématique qui revêt la forme de lois décrivant objectivement la façon dont les choses existent. Or, comme discours de vérité, la science permet à l’homme de maîtriser non seulement intellectuellement l’existence des choses, mais également d’en maîtriser la réalité, c’est-à-dire d’en prévoir le cours et éventuellement de le diriger ou de l’influencer. Cette opération plus particulière, qui consiste à avoir une emprise concrète sur la réalisation des choses, est communément désignée comme application technique de la science. En ce sens, la technique est un faire articulé au savoir propre à la science. Toutefois, s’il semble découler du rapport de la science à la technique une articulation simple allant de la théorie à la pratique, cette articulation peut apparaître comme problématique à deux titres. D’une part, la technique permet elle-même à la science de progresser, dans la mesure où elle la dote d’un pouvoir d’enquête dont elle ne disposait pas en l’absence d’instruments aussi perfectionnés. D’autre part, la technique peut librement disposer des innovations théoriques de la science pour envisager des applications que cette dernière n’avait pas forcément prévues. Dès lors, à la complémentarité fonctionnelle de la science et de la technique s’articuler une forme d’autonomie de l’une par rapport à l’autre, autonomie selon laquelle le rapport entre les deux peut s’avérer problématique puisque la technique semble alors disposer d’un pouvoir qu’elle ne contrôle pas fondamentalement et que la science n’a pas elle-même prévu. Nous nous trouvons donc confrontés au problème du savant fou (qui peut aussi bien être le technicien fou) qui tient dans sa main la possibilité de détruire l’humanité sans en avoir forcément conscience.

[...]

Plan proposé

Partie 1

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Nous avons d’abord la possibilité de considérer que la séparation entre science et technique ne se justifie pas. En effet, non seulement la science découvre dans le but d’améliorer techniquement l’existence des hommes,

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mais la science a besoin elle-même des innovations de la technique pour progresser

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ce qui conduit à penser que la condition même du progrès de nos sociétés est de renforcer les liens entre science et technique.

Partie 2

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Cependant, il apparaît que cette vision est quelque peu naïve. En effet, le temps des découvertes scientifiques semble passablement différent de celui de leur réalisabilité technique, ce qui signifie que la condition d’une application technique réussie repose sur une autonomie de fonctionnement de la science qui doit décider de son point d’achèvement.

b

En outre, la science n’a pas toujours le recul nécessaire à propos de ce qu’elle découvre pour permettre une application technique sur laquelle elle aurait le contrôle.

c

Enfin, le savoir-faire technique ne requérant pas le même type de compétence que la découverte technique, l’efficacité technique semble devoir être isolée de la compétence scientifique elle-même, dans la mesure où elle n’est pas la plus appropriée à ce sujet.

Partie 3

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Cette mise en question de l’articulation directe entre science et technique est néanmoins passablement complexe à penser. En effet, il n’est tout d’abord pas certain que cela soit vraiment profitable au libre jeu nécessaire au développement du progrès.

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Mais, en outre, il est difficile de mettre en place une telle séparation, ce qui signifie qu’elle peut être le mode de fonctionnement éthique de certaines sociétés tout en prenant le risque de ne pas être généralisée et de provoquer une alliance dangereuse entre science et technique dans les sociétés qui n’ont pas les moyens d’opérer un contrôle éthique sur le rapport entre les deux domaines.

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Dès lors, plutôt qu’une séparation entre science et technique faudrait-il penser aux moyens d’un juste rapport entre les deux, c’est-à-dire à la mise en place de normes juridiques régulant le transfert des connaissances scientifiques et l’utilisation technique de ces connaissances (ce que nous pouvons voir dans la mise en valeur du principe de précaution).