L'analyse du professeur
Ce sujet met en lumière l’ambiguïté de la perception du temps pour l’homme. En effet, le temps peut être vécu comme un écoulement objectif des évènements qui nous arrivent, écoulement face auquel nous n’aurions guère le choix de notre existence puisqu’il s’impose à nous sans que nous puissions l’influencer. Mais le temps peut être compris également comme une forme de création artificielle de l’esprit humain, qui s’en sert non seulement pour mesurer un écoulement objectif d’évènements, mais surtout pour penser son mode propre d’organisation, c’est-à-dire pour projeter son action à la faveur de l’expérience passée dans une expérience future. Le temps serait donc une façon utilitaire de gérer l’action de l’homme, de la prévoir et de lui donner des fins. L’expression « profiter du temps présent », qui calque le carpe diem, recouvre cette ambiguïté, dans la mesure où il pourrait s’agir d’accepter la finitude (nos limites) qui nous oblige à ne vivre que le présent, ou de la refuser pour faire de l’instant présent le point de synthèse existentielle d’un moi qui se projette dans la représentation passée et future de sa vie. Se demander s’il faut profiter de l’instant présent consiste donc paradoxalement à la fois à se demander s’il faut vivre au jour le jour, ou s’il faut au contraire tirer le profit maximum de l’instant pour s’affirmer et dominer ce que l’on devient.
[...]
Plan proposé
Partie 1
a
Il convient d’abord de partir du sens littéral de l’expression pour montrer que le fait de profiter de l’instant présent signifie profiter de la seule chose à notre portée : le moment présent qui nous est imposé par le cours objectif du temps.
b
Dès lors, ce qu’indiquerait cette formule est la nécessité de vivre la richesse de ce qui est donné dans l’instant sans l’affaiblir par la considération de ce qui serait à venir.
c
L’homme apparaît ainsi comme un être de sensibilité qui a pour fonction essentielle de rationaliser ce qui lui arrive, et non de prévoir ce qui peut arriver. Il n’a donc pas fondamentalement les capacités de maîtriser son devenir.
Partie 2
a
Nous pouvons toutefois dépasser ce point de vue immédiat pour comprendre que nous ne profitons de l’instant présent qu’en découvrant sa valeur, c’est-à-dire en comprenant que notre existence doit être consciente de sa fragilité. Cette exigence revient à constater que nul ne sait de quoi demain sera fait, et qu’il n’a donc pas intérêt à espérer des choses qui peuvent ne pas se réaliser.
b
Profiter de l’instant présent, c’est donc dévaloriser toute conscience inactuelle qui aurait tendance à magnifier ce qui a été ou ce qui sera, sous prétexte que ce qui est ne correspond pas nécessairement à un idéal.
c
Dès lors, mettre à profit l’instant présent commande d’intensifier ce qui se fait sur le moment pour refuser toute situation de réserve ou d’attente visant à nous économiser pour vivre mieux dans un futur incertain.
Partie 1
a
Cependant, cette analyse conduit à un paradoxe. L’homme qui cherche à profiter du temps présent ne peut en évaluer le prix qu’en voyageant dans le temps de son vécu, c’est-à-dire en comparant ce qu’il vit à ce qu’il a vécu ou à ce qu’il pourra vivre.
b
Il se trouve donc dans une situation de tension perpétuelle, qu’il apparaît alors impossible de résumer à un bonheur présent, puisque sa conscience le condamne toujours à s’en affranchir moralement.
c
Profiter du temps présent fait donc de l’homme un être de projet qui conçoit son existence un accomplissement dans le temps, c’est-à-dire un accomplissement tendu vers l’avenir qui l’oblige à maximiser ce qui, dans le présent, le porte à espérer le meilleur dans l’avenir.