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Lorsque Don Juan se trouve confronté au pauvre qui le supplie de lui donner un sou pour l’amour de Dieu, il lui demande pourquoi il croit encore en un Dieu qui l’a laissé dans une situation de dénuement et de pauvreté. Cette analyse semble difficile à saisir pour le pauvre, qui refuse de jurer et de blâmer Dieu de sa situation. Implicitement, le pauvre refuse de penser qu’il est capable de comprendre la volonté divine et de se prononcer sur les raisons de son destin. L’ignorance sembe ici fonder la foi.
On comprendre ainsi pourquoi le sujet « est-ce parce qu’ils sont ignorants que les hommes ont des croyances ? » associe ignorance et croyance. Ce sujet repose en effet sur l'opposition classique entre la croyance, qui désigne un sentiment d'adhésion de la volonté à une idée ou à un ensemble d'idées, et la raison qui signifie une capacité d'analyse sous la forme de concepts ou idées, capacité permettant de déterminer la volonté en fonction de la justification rationnelle. Il n’est néanmoins peut-être pas si évident de poser l’exclusivité des motifs de croyance et des motifs rationnels. Autrement dit, est-il si évident que les motifs de croyance ne résisteraient pas à l'analyse conceptuelle de la raison ? En quelque sorte, tout le problème vient du fait que nous pensons que la volonté est séduite par des motifs non rationnels lorsque nous adhérons à une croyance. Or, si la croyance consiste en fait à donner son approbation à un sentiment qui n’est pas d’abord prouvé selon la rigueur d'une démonstration scientifique, une telle démonstration est-elle pour autant impossible ?
Nous essaierons tout d’abord de montrer en quoi s’opposent entre croyance et raison. Nous en viendrons toutefois à montrer que cette démonstration est problématique puisque les convictions du croyant ne sont pas forcément en opposition avec les conclusions du raisonneur.
[...]Cette opposition semble reposer initialement sur le fait que l’adhésion à une croyance résulte d’un sentiment immédiat alors que le raisonnement se construit logiquement au moyen de concepts. C’est en tout cas ce que semble défendre Kierkegaard dans le Post-scriptum aux miettes philosophiques, ouvrage au cours duquel il montre que la foi est une conviction subjective propre aux sentiments de chacun, une forme de vérité intérieure.
Dès lors, la croyance manque de distance et semble implique une absence de liberté dans l’action, alors que la raison procède d’une analyse et permet une possibilité de choix. La Bible ne dit-elle pas d’ailleurs « heureux les simples d’esprit », qui n’ont justement pas à affronter les affres d’une décision libre à prendre, mais sont directement protégés par Dieu ?
L’exclusion de la raison et de la croyance. Nous pouvons donc comprendre ce qui pousse à penser qu’il faut opposer croyance et raison, comme l’ont d’ailleurs affirmé les philosophes des Lumières : il s’agirait de deux modes exclusifs d’accès à des règles de comportement, c’est-à-dire deux formes radicalement contradictoires de convictions, comme peut d’ailleurs le montre Voltaire dans Candide, en raillant l’ignorance des religieux qui les conduit à brûler les savants, ce qui est du reste un écho au destion de Giordano Bruno dans l’histoire. C’est également la raison pour laquelle Marx en vient à dénoncer la religion comme un « opium du peuple » ou Freud en faire une « illusion » reposant sur l’ignorance des hommes.
Il est peut-être en pratique possible de reconnaître que si la forme d’accès à la conviction semble bien différente, elle n’est pas pour autant divergente sur le fond puisque le type de comportements prescrits par la croyance et par la raison peuvent être les mêmes. Les dix commandements de la Bible sont ainsi explicitement repris par toutes les législations qui se pensent comme rationnelles et positives. Comme l’explique Auguste dans sa « Loi des trois états », il faut plutôt voir l’état théologique comme un premier stade d’accès à la vérité que comme une ignorance pure.
En outre, les conclusions de la raison semblent impliquer une forme de croyance elle-même sentimentale puisque le raisonneur est convaincu d’être dans le vrai et adhère passionnément à ses raisons d’agir. La science n’est en effet pas dépourvu d’une représentation de l’espoir et du devoir, qui porte d’ailleurs le nom de scientisme et a pu être dénoncée au même titre que les croyances religieuses, notamment lorsque des penseurs comme Jonas, dans le Principe responsabilité, ont pu constater les dégâts provoqués par son absence de recul critique sur elle-même.
Ainsi parvient-on à penser que la croyance peut résulter d'une procédure rationnelle sans pour autant changer de forme, ce qui implique que croyance et raison sont moins dans un rapport d’opposition que d’articulation possible. C’est d’ailleurs ce que défendait déjà Saint Thomas, dans la Somme théologique, en défendant l’idée que Dieu a doté l’homme de raison pour qu’il puisse étayer les hypothèses de sa foi.
Reconnaître que la raison explicative du monde n’est pas certaine d’atteindre des vérités absolues, mais qu’elle n’est qu’une croyance reposant sur des modalités autres que celles de la foi permet ainsi de montrer que les hommes ne sont pas croyants parce qu’ils sont ignorants, ou plutôt que l’ignorance les pousse à formuler des croyances, mais que ces croyances ne sont pas pour autant des absurdités. Il semble néanmoins nécessaires de ne pas tomber dans une position totalement relativiste, dans la mesure où la valeur des croyances dépend de leur capacité à éclairer le monde et l’action, ce qui fait qu’elles ne se réduisent jamais à une ignorance pure.