Dans quelle mesure peut-on parler d’une révolution freudienne ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


Freud est souvent présenté comme celui qui aurait découvert la scission du sujet psychologique, scission à l’origine de la dichotomie du moi conscient et de l’inconscient, en ce sens fondatrice d’une appréhension radicalement nouvelle d’un homme contemporain qui ne serait plus maître de lui-même. Cette vision est toutefois peut-être partiellement fausse, ou en tout cas largement rétrospective, à partir d’une simplification de l’histoire de la pensée et des idées, au premier rang de laquelle se situe la volonté de mettre en lumière les doutes que Freud avait lui-même à l’égard de sa théorie, ou en tout cas la prudence avec laquelle il l’a formulait.

Le sujet : « dans quelle mesure peut-on parler d’une révolution freudienne ? » invite d’aileurs précisément à une telle réserve, en supposant que cette révolution n’est peut-être pas en elle-même totale et absolue. Néanmoins, ce que ce sujet a de paradoxal est également inscrit dans ses termes : comment une révolution peut-elle ne pas être totale, si par défintion une révolution est un bouleversement des repères les plus fondamentaux ? N’y a-t-il pas une contradiction entre la « mesure » et la « révolution » ? Faut considérer l’apport freudien à la théorie du sujet comme la formulation d’un ensemble d’hypothèses problématiques, qui ont moins pour ambition de résoudre la question de l’identité du Moi que de penser la difficulté de sa construction ?

Nous nous attacherons tout d’abord à montrer que Freud s’inscrit dans une perspective révolutionnaire, en prolongeant la révolution du sujet comme la dernière étape de la découverte du moi, en poussant ce moi jusqu’à sa propre remise en question. Nous en viendrons ensuite à nuancer cette analyse en montrant que l’hypothèse de l’inconscient n’est pas une façon de penser la puissance du moi et de lui donner les moyens de dominer les forces qui s’opposent à son affirmation, mais plutôt ue remise en question fondamentale qui risque bien de ruiner les efforts de la modernité. Nous serons alors, en dernier ressort, conduits à critiquer la démarche de Freud sur le fond pour constater que ses apports ne peuvent ultimement remettre en question la position du sujet conscient.

[...]

Plan proposé

Partie 1 : Une révolution au long cours : Freud comme l’achèvement des révolutions modernes.

a)

La révolution scientifique comme mise en place de la rationalité moderne. Nous pouvons considérer que Freud s’inscrit dans une généalogie qui est celle de la rationalité moderne, c’est-à-dire celle qui a mis en lumièren au moyen des découvertes de Galilée et Copernic, l’importance du psychisme et de la capacité à fonder l’intelligence du monde sur les facultés de l’esprit. Ses thèses portent en effet sur le fonctionnement du psychisme et doivent beaucoup à la reconnaissance du fait que l’homme se définit d’abord par ses capacités à penser et non par la référence à des traditions ou des croyances.

b)

La révolution philosophique du sujet et l’homme comme cause de lui-même. Le corollaire de cette révolution scientifique et technique est la mise en relief d’un humanisme d’un nouveau genre, dont Descartes pense les fondements, dont les Lumières réaliseront l’exigence, et que Hegel achèvera, humanisme selon lequel l’homme est son propre fondement parce qu’il est capable d’assigner au réel la forme de sa rationalité.

c)

La révolution du sujet lui-même. Freud parachèverait cette révolution parce qu’il serait celui qui aurait permis d’une part de prendre la mesure de ce qui échappe à l’homme et à sa raison, mais d’autre part aurait donné à l’homme les moyens de travailler sur ces lacunes pour améliorer la construction du sujet. Loin d’être une mise en doute radicale du sujet, l’analyse de Freud serait au contraire une façon d’assurer les fondements de la dynamique de la révolution copernicienne.

Partie 2 : Les apports freudiens : une révolution radicale qui entraîne la ruine du sujet

a)

La thèse des trois despotes. Freud formule une théorie qui conduira à diviser le psychisme en trois instances : le Moi, le Ça et le Surmoi. Ces trois instances ne sont pas simplement des constructions du moi, mais comportent une véritable déstabilisation faisant du sujet un lieu d’instabilité profondément pathologique, constituée de menaces constante de la puissance de la rationalité, concurrencée à la fois par le corps et par la face cachée du psychisme.

b)

L’occulation du monde extérieur. La révolution freudienne a par conséquent des impacts sévères sur la perception du monde extérieur. Le sujet se voit interdit d’objectivité, et la subjectivité se trouve fermée sur elle-même, incapable de posséder une représentation adéquate du monde extérieur, et donc d’un fondement de ses connaissances.

c)

L’absence de paix. La conséquence de cette remise en question est que le moi n’est plus qu’une lutte pour la réconciliation, lutte par laquelle le moi se pense comme un équilibre en tension, qui se réjouit des petites victoires qu’il obtient. Le moi en vient à privilégier sa propre stabilité, quitte à se mentir et à ne plus rechercher que les meilleurs moyens pour atteindre la fin de la paix intérieure, paix qui n’est du reste qu’un temps différé de la lutte.

Partie 3 : Une révolution à relativiser ou à rejeter : la critique de Freud

a)

Il est tout d'abord possible d’émettre une critique interne à la subectivité, consistant à remarquer que la conscience ne prétend pas être une connaissance absolue de soi. Or, si l'on pense que la conscience est un pouvoir d'éclaircissement des actes psychiques, cela veut dire que certes beaucoup de choses se passent en nous sans que nous en ayons conscience mais non parce que ces actes seraient inconscients mais parce qu'ils ne sont pas directement considérés comme significatifs par la conscience. Cela veut donc dire que la conscience est mobile et ne s'intéresse qu'à ce qui lui paraît important, quitte à prêter attention au détail après coup. Il y a donc des degrés de conscience et non une rupture radicale entre conscience et inconscient. Freud n’aurait donc fait que caricaturer la position du sujet, et notamment celle de Descartes, qui était déjà profondément marquée de doute, pour positionner une hypothèse de l’inconscient par elle-même trop fragile.

b)

On peut également reprocher à Freud de fournir une explication infaillible et infasifibale, c'est-à-dire que les explications psychanalytiques marchent à tous les coups sans preuve possible du contraire. Par exemple, si je déteste les pommes, on peut aussi bien dire que c'est parce que mes parents les détestaient que parce que mes parents les adoraient et m'ont forcé à en manger. Quelle que soit la situation initiale, je suis donc explicable par des facteurs passés qui auraient été refoulés. Il ne pourrait donc s’agir d’une révolution quand la théorie proposée n’apporte pas de preuve et marche à tous les coups.

c)

Enfin, si l'on admet que la preuve du fait inconscient reste relative parce qu'elle est infalsifiable, il devient clair que le fait que la psychanalyse marche est conditionné par la croyance que je lui accorde. Or, si ça marche et me guérit parce que j'y crois (et non forcément parce que ce serait absolument vrai), cela veut dire que l'origine réelle peut toujours continuer à agir et à causer les troubles sous d'autres formes. En outre, la croyance dans le facteur inconscient peut s'émousser et est toujours susceptible de se voir contestée par d'autres faits pertinents.

Conclusion

Au final, la révolution freudienne est une question de croyance et d’efficacité thérapeutique. Freud ne disait d’ailleurs pas autre chose, en cantonnant l’inconscient à une hypothèse dont la preuve scientifique ne pourra pas exister ultimement. Il s’agit donc d’y croire, et de considérer qu’il n’y a de révolution que pour celui qui y voit une découverte offrant un surcroît d’intelligibilité quant au fonctionnement du psychisme, et également un surcroît d’efficacité dans le traitement des troubles psychiques qu’il pourrait avoir.