L'analyse du professeur
La façon dont la culture détermine une conception de l’histoire, et dont cette conception de l’histoire permet à un peuple de partager une vision de son devenir, a été récemment problématisé par la théorie du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, célèbre penseur néoconservateur américain ayant ainsi identifié les logiques actuelles de conflit à des confrontations entre cultures antagonistes.
Dès Tristes tropiques, Claude Levi-Strauss s’était lui-même efforcé, dans une toute autre perspective idéologique, de montrer l’importance du facteur culturel dans la représentation sociale, et il s’était plus particulièrement attaché à montrer de quelle manière la culture pouvait déterminer un mode d’être et une façon de se concevoir. Le texte qui est ici soumis à notre étude porte ainsi sur la parenté entre les structures culturelles chrétienne et musulmane, parenté sur laquelle insiste fortement Lévi-Strauss pour montrer à quelle point elle peut apparaître aliénante, ou tout au moins déterminante pour saisir la façon dont l’homme se trouve emprisonné dans ses propres représentations.
Nous nous attacherons tout d’abord à montrer en quoi consiste cette parenté. Nous pourrons ensuite saisir jusqu’à quel point ces structures analogues permettent de comprendre le caractère aliénant des représentations culturelles.
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Plan proposé
Partie 1
a
Ce malaise ressenti au voisinage de l’Islam, je n’en connais que trop les raisons: il porte en lui l’univers d’où il vient; l’Islam, c’est l’Occident de l’Orient. Plus précisément encore, il m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française.(…)
CLV tente de montrer que l’Islam joue le même rôle que celui que joue réciproquement l’occident à l’égard de l’orient. Cette parenté semble pouvoir s’expliquer par le fait que l’occident est généralement identifié à une logique culturelle chrétienne, qui a ainsi induit un certain nombre de représentations dominantes au plan culturel (statut hégémonique des représentations spirituelles chrétiennes, et volonté d’évangéliser ou de convertir l’ensemble des barbares à cette foi et cette représentation du monde).
b
Chez les Musulmans comme chez nous, j’observe la même attitude livresque, le même esprit utopique, et cette conviction obstinée qu’il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour en être débarrassé aussitôt.
CLV fonde son analogie sur l’identification d’une méthode commune. Les deux religions du livre sont des discours qui s’apparentent à la production d’une explication de l’origine du monde, et qui ont pour fonction de fournir une morale, en même temps qu’une explication théorique et principielle des choses.
c
A l’abri d’un rationalisme juridique et formaliste, nous nous construisons pareillement une image du monde et de la société où toutes les difficultés sont justiciables d’une logique artificieuse, et nous ne nous rendons pas compte que l’univers ne se compose plus des objets dont nous parlons.
Le fait que l’Islam comme l’occident chrétien se sont traduits par l’élaboration d’un système juridique n’est en ce sens pas surprenant, puisque le droit est la traduction d’une vision morale des choses (critère de justice). Le critère moral traverse donc la logique juridique, à tel point qu’il assigne toute chose à une raison d’être : il s’agit d’un système qui impose au monde une logique, un ordre intellectuel comme moral.
Partie 2
a
Comme l’Islam est resté figé dans sa contemplation d’une société qui fut réelle il y a sept siècles, et pour trancher les problèmes de laquelle il conçut alors des solutions efficaces,
Le propos de CLV semble ici passablement polémique, puisqu’il formule une généralité au sujet de l’Islam, qu’il identifie ainsi à une représentation datée du monde, qui cultive le mythe de sa puissance, mais ne vit en fait que sur un héritage dépassé. Toutefois, la thèse est plus ambiguë, puisque CLV reconnaît la pertinence passée de l’Islam, et son efficacité pour résoudre les problèmes auxquels il s’est trouvé confronté.
b
nous n’arrivons plus à penser hors des cadres d’une époque révolue depuis un siècle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l’histoire; et encore trop brièvement, car Napoléon, ce Mahomet de l’Occident, a échoué là où a réussi l’autre.
L’analyse de CLV porte donc plus sur la pesanteur des représentations culturelles : il montre que la façon dont un société ou un peuple, à travers sa religion par exemple, s’est construit une identité culturelle (a déterminé des valeurs, des logiques de pensée et des modes d’être) détermine de façon durable son avenir et sa manière de voir les choses. La comparaison entre Mapoléon et Mahomet est en ce sens moins une comparaison de la religion et du politique, qu’une manière de montrer que les représentations occidentales (qui recherchent un guide ou un chef) sont structurées par un héritage religieux (paternaliste) que l’on retrouve de façon identique dans l’Islam.
c
Parallèlement au monde islamique, la France de la Révolution subit le destin réservé aux révolutionnaires repentis, qui est de devenir les conservateurs nostalgiques de l’état des choses par rapport auquel ils se situèrent une fois dans le sens du mouvement.
L’effet pervers de cette pesanteur culturelle est le fait que la perpétuation d’un héritage conduit à la nostalgie et au conservatisme. La grandeur d’une nation, lorsque ses membres se replient sur la conservation de son héritage, devient ainsi le facteur de sa sclérose, puisque la culture devient une structure aliénante, qui bloque toute innovation et tout progrès.