Claude Bernard, l'Esprit scientifique (extrait)

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L'analyse du professeur


L’épistémologie contemporaine résulte d’un bouleversement sans précédent de la valeur de la vérité scientifique. Là où les positivistes et les scientistes du dix-neuvième siècle pouvait affirmer que la science triompherait de tout, et permettrait à l’homme d’agir de façon absolument certaine et dominatrice, il a en effet fallu constater que la science reste faillible, et ressemble plus souvent à un jeu d’apprenti sorcier qu’à une connaissance objective. Le texte de CB ici soumis à notre étude fait en ce sens figure de témoignage de ce tournant épistémologique, puisque CB y défend la thèse selon laquelle les vérités scientifiques ne sont que fausses, tout en se défiant paradoxalement de tout scepticisme. Quelle valeur possède alors la vérité scientifiques ? Comment et en quoi croire ? Peut-on connaître les lois de la nature ? Nous nous attacherons à montrer que le texte entend d’abord valoriser le doute comme méthode permettant de se rapprocher des vérités scientifiques nécessaires. Nous en viendrons ensuite à comprendre que ces vérits ne sont toutefois jamais abouties, et qu’il est nécessaire de les relativiser au nom du progrès des connaissances futures.

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Plan proposé

Parte 1 : Du doute à la vérité scientifique.

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« La première condition que doit remplir un savant qui se livre à l'investigation dans les phénomènes naturels, c'est de conserver une entière liberté d esprit assise sur le doute philosophique. » Ce lien entre philosophie et science peut surprendre, dans la mesure où la séparation contemporaine semble particulièrement consommée entre les deux domaines, la philosophie se cantonnant à un discours vague et moralisant là où la science serait au contraire objective et vraie. Il faut toutefois rappeler que la philosophie, de Socrate à Descartes, est d’abord restée célèbre sous la forme du doute, et de la méthode consistant à vouloir s’assurer de la vérité de ce qui est énoncé. À cet égard, la philosophie peut bien être ici considérée comme un doute préalable à toute investigation scientifique.

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« Il ne faut pourtant pas être sceptique; il faut croire à la science, c'est à dire au déterminisme, au rapport nécessaire et absolu des choses aussi bien dans les phénomènes propres aux êtres vivants que dans tous les autres; » Le rejet du scepticisme veut ici signifier que le doute ne peut être une méthode qui est à elle-même sa propre fin : le doute gratuit est en effet un doute stérile, qui ne produit aucun résultat si ce n’est celui de bloquer le raisonnement et l’action. CB défend au contraire l’idée d’une vérité des lois de la nature, ici incarnée par le déterminisme, c’est-à-dire par le fait que toutes les choses sont soumises uniformément aux lois de la nature, et ne peuvent donc agir par miracle. Le doute ne peut aller jusqu’au point de rejeter la possibilité de ces vérités scientifiques absolues et premières, dont tout dépend.

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« mais il faut en même temps être bien convaincu que nous n'avons ce rapport que d'une manière plus ou moins approximative, et que les théories que nous possédons sont moins de représenter des vérités immuables. » La difficulté de l’hypothèse déterministe est toutefois qu’elle se heurte à des insuffisances, ou de fragilités. Nous ne parvenons pas en effet à atteindre des vérité immuables, dans la mesure où le fait de savoir que les lois de la nature agissent de façon nécessaire n’implique pas nécessairement que nous parvenions à les connaître parfaitement. Nous faisons donc des hypothèses pour comprendre quelles sont les lois de la nature, mais nous pouvons nous tromper dans ces hypothèses, tout en sachant que ces erreurs ne détruisent pas la validité des lois de la nature.

Partie 2 : L’erreur scientifique : le moyen paradoxal de la vérité future.

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« Quand nous faisons une théorie générale dans nos sciences, la seule chose dont nous soyons certains, c'est que toutes ces théories sont fausses absolument parlant. » CB va même plus loin, et affirme que toutes nos règles scientifiques sont fausses, c’est-à-dire qu’elles ne décrivent jamais de façon adéquate les lois de la nature. Cette inadéquation est en ce sens structurelle : nous faisons des hypothèses qui sont des explications ad hoc, dont la validité ne dépend que du système dans lequel elles s’insèrent et ont une pertinence. Le système des règles scientifiques est donc un système d’interprétations cohérentes, mais qui ne décrivent pas fondamentalement de façon pure la réalité. Le vrai pour l’homme est donc faux en soi.

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« Elles ne sont que des vérités partielles et provisoires qui nous sont nécessaires, comme des degrés sur lesquels nous reposons pour avancer dans l'investigation; elles ne représentent que l'état actuel de nos connaissances, » Au-delà de cette validité pour nous-mêmes, le système de nos connaissances a également une valeur heuristique, c’est-à-dire qu’il permet de construire des connaissances futures, et donc de viser un progrès scientifique dont la finalité est idéalement de parvenir à décrire de façon parfaite la réalité et ses lois. La vérité humaine n’est donc pas sans espoir, quand bien même elle doit renoncer à son absoluité.

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« et par conséquent, elles devront se modifier avec l'accroissement de la science, et d'autant plus souvent que les sciences sont moins avancées dans leur évolution. » Toutefois, le fait de remarquer la fragilité de la vérité scientifique, sa relativité, implique de constater que le travail principal des scientifiques est d’œuvrer à la modification des lois, et ce d’autant plus fréquemment que le progrès préalable est moindre. Il y a en effet toutes les chances que les règles d’une science nouvelle soient grossières et peu abouties par rapport à celle d’une science déjà développée et ayant évolué depuis longtemps.