L'analyse du professeur
Ce sujet repose implicitement sur la possibilité d’appliquer un jugement de valeur à une chose qui existe indépendamment de la volonté humaine. Il s’agit donc de se demander si la nature (c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes naturels existant sans l’intervention de l’homme) est bonne par elle-même, c’est-à-dire peut servir de référence et orienter l’action humaine. Autrement dit, ce qui est naturel est-il bon ou permet-il de définir une norme du bien ?
Or, cette question paraît faire écho à un avis commun selon lequel, lorsque nous observons le monde naturel, nous sommes portés à en admirer la structure et l’existence, et nous dire : « c’est drôlement bien fait ». Autrement dit, notre expérience des choses naturelles nous porte à y voir une forme d’harmonie qui nous pousse à penser que la nature résulterait d’une intelligence, d’une forme de travail de fabrication dont l’auteur serait particulièrement ingénieux. Nous nous trouvons donc devant un constat relevant de l’anthropomorphisme puisque nous attribuons le monde à un auteur (Dieu comme architecte ou encore une puissance naturelle non divine) qui serait un auteur intelligent qui n’a rien fait au hasard (on dit d’ailleurs que la nature "ne fait rien en vain" et Einstein lui-même a dit que "Dieu ne joue pas aux dés"). Pourtant, paradoxalement, nous avons conscience que nous n’avons aucune preuve de l’existence de cet auteur, et que la valeur de ce qui est naturel n’est pas tant une valeur objective qu’une valeur subjective, relative à notre façon de comprendre les choses et de les juger. La question se pose ainsi de savoir s’il est juste de produire un tel raisonnement, c’est-à-dire si nous avons le droit et si cela peut avoir une pertinence.
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Plan proposé
Partie 1
a
Nous pouvons tout d’abord partir d’une analyse du jugement de valeur qui nous porte à admirer le naturel. Il apparaît que ce jugement repose sur une forme d’ignorance que nous cherchons à compenser en attribuant un ordre de valeur humain à une chose naturelle.
b
Mais ce jugement spontané est lui-même relayé par le travail des sciences puisque les hypothèses scientifiques abordent le monde à partir d’un principe d’organisation artificiel.
c
Enfin, ce jugement nous semble d’autant plus ancré dans une vérité objective qu’il sert de point de départ à nos croyances et nos superstitions.
Partie 2
a
Cependant, dans la logique de ce raisonnement, il nous arrive également de ne pas comprendre et de contester la valeur du naturel. En effet, si nous évaluons le cours des choses en supposant une intention primordiale, nous sommes logiquement portés à hiérarchiser la valeur de ce qui existe pour remarquer que tout ce qui est naturel n’a pas la même valeur.
b
Ce constat se double également de la difficulté à tout justifier. Ainsi, si nous ne comprenons pas tout, la valeur de ce que nous voyons peut nous échapper.
c
Plus encore, comme nous nous octroyons le droit de tout juger, nous sommes logiquement portés à dévaloriser certaines choses qui auraient pu être mieux selon nous.
Partie 3
a
Dès lors, l’ambivalence de notre jugement de valeur au sujet de la nature provoque un doute quant à sa pertinence. En effet, si le premier réflexe est de penser que le naturel n’a que peu de valeur devant l’artificiel,
b
ce jugement révèle rapidement ce qu’il peut avoir de faussé puisque nous comprenons que ce qui est naturel n’a qu’une valeur subjective par rapport à notre mode de pensée.
c
Ainsi, si la nature n’est pas une personne, lui attribuer un jugement de valeur repose sur un anthropomorphisme qui n’a pas vraiment de sens en soi. La nature n’a donc de valeur que si l’homme projette du sens et une unité qu’elle n’a pas vraiment par elle-même. Ce qui est naturel relève d’une une puissance de vie qui agit selon des règles immuables qui ne sont ni bonnes ni mauvaises en elles-mêmes.