Bertrand Russell, Signification et vérité (extrait)

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L'analyse du professeur


Dans cet extrait de Vérité et Signification, Bertrand Russel revient sur le problème de l’adéquation entre l’expérience vécue et sa nomination linguistique. Cette relation est d’abord décrite sous le signe de la clarté : les mots nous permettent de qualifier une occurrence et les évènements prouvent la validité de nos phrases. Le philosophe remet cependant en cause la capacité humaine à connaître une chose que l’on ne pourrait nommer : dans un second mouvement, Bertrand Russel s’interroge en effet sur ce qui peut valider, en l’absence de connaissance non verbale de l’expérience, l’exactitude des mots employés. Il relève ainsi un des problèmes fondamentaux du langage humain.

[...]

Plan proposé

On peut distinguer deux parties dans cet extrait de Signification et Vérité :

Dans la première partie

, Bertrand Russell traite de la « clarté » du langage par rapport à l’évènement décrit. Cette première partie s’achève par « C'est tellement clair que rien ne peut être plus clair. » Le philosophe revient sur la théorie communément admise de l’adéquation des mots aux choses et prend l’exemple de la phrase « il pleut », qui correspond parfaitement à l’expérience vécue par l’énonciateur : la vérité de son énoncé est confirmé par la sensation de pluie ressentie. Dès cette première partie, Bertrand Russel note cependant une première limite à cette capacité de qualifier linguistiquement l’expérience : seule une « personne ayant appris à parler peut se servir de phrases pour décrire des événements ». On remarque en effet que le langage humain est acquis (c’est-à-dire appris) et non inné, comme chez les animaux. Il résulte donc d’une convention arbitraire et non pas naturelle. Comme le dit Rousseau, « la langue de convention n’appartient qu’à l’homme » : les animaux possèdent leur « langage » dès la naissance et n’ont pas à l’ « apprendre » parce que c’est leur instinct qui le leur dicte. Chez les hommes, il n’y a pas de rapport naturel ou logique entre le « signifiant » et le « signifié » : comme l’a montré le linguiste Saussure, le langage est une convention arbitraire (et c’est pourquoi il y a d’ailleurs plusieurs langues).

Partie 2

Comme le remarque Bertrand Russel dès la seconde partie de l’extrait, cet arbitraire du signe est à l’origine de difficultés qui « surgissent dès lors que nous essayons d'analyser ce qui arrive lorsque nous faisons des énoncés de cette sorte en nous basant sur l'expérience immédiate ». Le langage est en effet le fruit de notre faculté d’abstraction. Par exemple, le mot « arbre » désigne aussi bien cet arbre-ci que cet arbre-là : « arbre » ne désigne donc pas un arbre donné, mais le concept même d'« arbre » (ce que doit être une chose pour être un arbre : avoir un tronc, etc.) ; c'est pour cela qu'il peut désigner tous les arbres. On remarque donc que les mots ne renvoient pas à des choses, mais à des concepts abstraits et généraux. Comme l'a montré Bergson, les mots désignent des concepts généraux, et non des choses singulières. Le langage simplifie donc le monde et l'appauvrit : il nous sert d'abord à y imposer un ordre en classant les choses par ressemblances. En allant plus loin, on pourrait donc dire que le langage ne fait donc pas que décrire un monde qui lui serait préexistant, dans la mesure où c'est lui qui délimite le monde humain, c’est-à-dire ce que nous pouvons percevoir et même ce que nous pouvons penser. N'existe, en fait, que ce que nous pouvons nommer dans notre langue. D’où les interrogations de Bernard Russel, qui se demande comment nous pouvons comparer notre expérience avec nos mots, puisque nous ne pouvons pas connaître « une occurrence, indépendamment des mots que nous employons à son propos ».

Conclusion

Dans Vérité et Signification, Bertrand Russel revient donc sur la problématique de l’adéquation des mots aux choses et remarque que nous n’avons finalement aucune manière non verbale de connaître une occurrence, ce qui pose problème dès lors que l’on veut tester la capacité du langage à qualifier une expérience : comme l’expérience « brute » n’existe pas, la vérité des mots ne peut être confrontée à rien d’autre qu’elle-même. Cette constatation nous invite dès lors à nous demander s’il existe pour l’homme un monde en dehors des choses nommées linguistiquement : comme le dit Wittegenstein, peut-être que « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde »