Aristote, Métaphysique - le vrai

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L'analyse du professeur


« L’être est, le non-être n’est pas » : cette citation de Parménide, qui est devenue typique des origines de la métaphysique grecque, contient en elle-même le point de départ des différents théories du vrai et du faux qui vont s’articuler chez des auteurs comme Platon et Aristote, pour ne citer que les deux plus fameux artisans d’un débat que sera loin de clore l’Antiquité grecque. Dans cette citation se donne à penser une théorie du vrai qui implique que l’esprit est incapable de concevoir ce qui n’est pas, et que la vérité ne dépend que de la possibilité de concevoir distinctement une chose. Pourtant, en cherchant notamment, et pour le dire schématiquement, à penser le devenir (c’est-à-dire à donner une réalité et un mode d’existence au réel perçu dans sa diversité changeante et apparemment trompeuse), Aristote va s’attaquer assez profondément à cette façon de définir la vérité, tant dans sa version parménidienne que dans la réinterprétation qu’en formule Platon dans sa théorie de la participation. Il s’agira ici, dans le texte qui est soumis à notre étude, de comprendre en quoi Aristote peut sauver le devenir tout en sauvant l’unité de la vérité (sa non-relativité), ce qui impliquera de constater qu’il modifie profondément le critère du vrai pour le fonder purement et simplement sur la rationalisation de la perception sensorielle du monde. Nous nous attacherons tout d’abord à montrer qu’Aristote se démarque du critère platonicien de la vérité comme participation pour affirmer la nécessité de trouver le vrai dans la prédication logique. Puis nous en viendrons à justifier le fait que l’emploi de ce critère permet la revalorisation du devenir tout en maintenant un sens non-relatif du vrai.

[...]

Plan proposé

Partie 1 : La vérité et l’erreur dépendent de l’esprit.

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« Quant à l'être comme vrai, et au non-être comme faux, ils consistent dans l'union (sunthesis) et dans la séparation (diairesis), et le vrai et le faux réunis se partagent entièrement les contradictoires. » Cette affirmation peut sembler surprenante de prime abord. La définition de la vérité ou de l’erreur à laquelle doit faire face Aristote est en effet celle qui lui vient directement de la philosophie de Platon, et plus particulièrement du fait que cette philosophie assimile l’être au vrai et le non-être au faux. À cet égard, la théorie de la participation semble conduire inéluctablement à identifier l’être à l’union et le non-être à la séparation, c’est-à-dire à considérer qu’on ne dit le vrai qu’à la condition d’associer un être à l’idée à laquelle il participe, et qu’on ne dit le faux qu’à la condition inverse de dissocier cet être de l’idée de laquelle il devrait participer (ce qui revient à l’identifier à un non-être).

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« En effet, le vrai, c'est l'affirmation de la composition [réelle] du sujet et de l'attribut, et la négation de leur séparation ; le faux est la contradiction de cette affirmation et de cette négation ». Aristote propose en réalité ici une autre manière d’envisager la logique de la vérité, puisque le vrai devient ce qu’il est possible de prédiquer en vérité, alors que le faux est ce dont la prédication est fallacieuse. Autrement dit, c’est dans l’opération d’association d’une chose à une autre que se détermine le vrai ou le faux, ce qui revient à considérer que le vrai ou le faux peuvent également se situer dans l’association ou dans la dissociation (dans la prédication comme dans son refus).

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« Mais comment se fait-il que nous pensions les choses comme unies ou séparées ? C'est une autre question. » Le fait de démarquer sa théorie de la vérité et de la connaissance de celle de Platon conduit alors Aristote à la nécessité de justifier alors la façon dont établissons des prédicats, ce qui revient à fonder le critère de la vérité sur la façon dont nous prédiquons logiquement, c’est-à-dire à la façon dont la raison nous permet d’associer des être entre eux. Plus techniquement, comme Aristote le détaillera notamment dans les deux premiers livres de l’Organon, il s’agira d’interroger notre pouvoir d’utilisation des catégories logiques permettant d’appréhender rationnellement la réalité par ailleurs perçue.

Partie 2 : Le faux n’existe pas, mais est causé par la pensée.

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« Quand je dis unies et séparées, j'entends que je pense les choses de telle sorte qu'il n'y a pas simple consécution de pensées (to ephexes), mais que ces pensées deviennent une unité [...]. » La différence entre la consécution de pensées et l’unité des pensées revient à distinguer plus subtilement la composition réelle du sujet et de l’attribut de sa composition fictive. Autrement dit, la différence entre le vrai et le faux est la différence entre une association réelle entre un sujet et un attribut et une association non réelle (qui n’existe par dans l’expérience que je fais des choses).

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« Le faux et le vrai ne sont pas dans les choses [...], mais dans la pensée, et en ce qui regarde les natures simples et les essences, le vrai et le faux n'existent pas même dans la pensée [...]. » Là encore, cette conclusion peut sembler de prime abord surprenante, dans la mesure où la démonstration qui précède pour faire croire que l’association indue entre un attribut (ou un prédicat) et un sujet (ou une chose) vient d’une erreur manifeste au sujet de la réalité (qui me tromperait sur sa nature). Toutefois, en toute rigueur, quand bien même je peux dire par commodité de langage que je suis trompé par la réalité, ce n’est jamais la réalité qui me trompe, mais moi qui me trompe au sujet de la réalité. L’erreur est donc dans la mauvaise association ou dans la mauvaise dissociation, et l’être que je pense n’est alors pas un être réel (mais un non-être).

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« Quand donc y a-t-il ou n'y a-t-il pas ce que nous appelons vrai ou faux ? Ce n'est pas parce que nous pensons d'une manière vraie que tu es blanc, que tu es blanc, mais c'est parce que tu es blanc qu'en disant que tu l'es nous disons la vérité. » Il convient encore d’ajouter que si la vérité est adéquation de la chose et de l’esprit, cette vérité n’est toutefois jamais une adéquation fondée sur l’esprit par lui-même. Autrement dit, la vérité n’est pas produite de façon autonome et propre par l’esprit, au regard des simples propriétés logiques que je peux penser, mais la vérité est un raisonnement logique au sujet de ce qui se donne à penser (et s’est donc d’abord donné à percevoir). Il m’est donc impossible de déterminer a priori une chose réellement vraie, mais j’ai toujours besoin d’interroger le réel tel que je le perçois afin de le soumettre à mon analyse logique.