Aristote, Ethique à Nicomaque, V - l'équitable

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L'analyse du professeur


L’injustice de la mort de Socrate est souvent l’objet de débat philosophique. Fallait-il accepter l’application d’une loi injuste, pour protéger un monde structuré par des lois contre un monde anarchique sans loi, ou fallait-il au contraire s’opposer à l’injustice en supposant possibles des lois vraiment plus justes ? C’est en quelque sorte le problème posé par le texte d’Aristote ici soumis à notre étude. En distinguant l’équitable du juste légal, Aristote propose en effet de montrer qu’il n’est pas possible d’attendre des lois humaines générales des réponses particulières parfaites aux conflits et aux situations d’injustice. Il préconise ainsi d’accepter une forme d’injustice afin d’établir une juste mesure pourtant moralement insatisfaisante. Comment alors comprendre ce juste qui semble écartelé entre deux types de mesures ? Nous nous attacherons à montrer tout d’abord en quoi la loi est nécessairement imparfaite pour Aristote, pour saisir ensuite comment cette imperfection est préférable à une attitude moralement plus exigeante.

[...]

Plan proposé

Partie 1

a - 1ere phrase

. Le défaut de la loi est sa généralité : elle ne peut exactement remplir l’idéal de justice, qui consiste à « rendre à chacun le sien », c’est-à-dire à donner à chacun ce qui lui revient et mérite en propre. La loi est une règle qui fait en effet abstraction des différences particulières afin de déterminer une façon de procéder globalement valable pour tous, mais particulièrement impropre à saisir ce qui convient à chacun.

b - 2e et 3e phrases

Les choses particulières peuvent être si différentes qu’il est impossible de les atteindre et les comprendre au moyen d’une loi générale. Dans ce cas, il faut donc articuler au mécanisme juridique un décision politique (un décret), qui a pour fonction de « dire », c’est-à-dire de préciser ce qui convient en particulier pour une chose spécifique.

c - 4e phrase

Sous la loi, il faut donc un mécanisme de décrets, qui ont pour fonction de dépasser et préciser cette loi, non selon sa lettre mais selon son esprit. En ce sens, la métaphore de la règle de plomb est parlante et pose problème. Elle montre qu’une même longueur de plomb peut être utilisée pour évaluer des formes différentes, mais ne peut être efficace qu’à la condition de se déformer en particulier sur certaines formes. Dès lors, une application particulière de la règle ne sera pas valable pour les autres cas, puisque la forme prise dans le premier cas ne convient pas à celle des autres cas.

Partie 2

b - 5e phrase

Se distinguent donc deux formes de justice : la justice légale ou juridique, qui est celle d’une règle générale, valable pour plusieurs cas comparables, dont les différences ne sont pas suffisantes pour désigner des formes particulières et non comparables ; et la justice morale ou de l’équitable, qui est celle des décrets, uniquement valables pour des choses particulières, et supérieurs en cela aux règles ou lois juridiques, puisque la finesse du critère élaboré est alors plus grande.

b - 6e phrase (-› « sur le juste »).

La première partie de la définition de l’homme équitable met en lumière le discernement dont il est capable. L’homme équitable est celui qui est capable de ne pas attendre de la loi qu’elle réponde de façon parfaite à tous les cas particuliers. Il sait qu’il n’est de loi que générale et imparfaite.

c - 6e phrase (jusqu’à la fin)

. La fin de la définition de l’homme équitable précise la pratique de l’équité, et montre que ce dernier est celui qui est alors capable d’articuler à l’insuffisance de la loi une attitude morale, consistant essentiellement à corriger l’imperfection de la loi par sa tolérance à l’égard de cette imperfection. L’homme équitable n’est alors pas celui est lésé, mais plutôt celui qui, parce qu’il accepte l’imperfection de la loi, contribue ainsi à donner à la loi sa force et sa validité, préférant ainsi un monde juste et ordonné à un désordre et à un vide juridique.