L'analyse du professeur
Georges Canguilhem évoque une anecdote relayée par les étudiants en médecine. Un Professeur de médecine, enseignant l’autopsie, aurait trépané un cadavre devant une assemblée de jeunes étudiants, et se serait esclaffé : « vous voyez, pas d’âme : la preuve scientifique des mensonges de la religion ! ». En réponse à cette exclamation, un ouvrier, présent dans l’amphithéâtre pour repeindre le toit, aurait répondu : « ben, évidemment, elle s’est envolée ! ». Ce dialogue enseigne le dialogue de sourds dans lequel s’enferment souvent science et religion, et la facilité qu’il semble y avoir à produire des réponses toutes faites à toutes les questions qui se posent, selon le critère de vérité retenu.
En ce sens, il est possible de s’interroger sur la pertinence des réponses que la science prétend fournir à toute question. La science se veut un discours logique qui fonde ses assertions sur une vérification expérimentale lui permettant de donner corps au processus hypothético-déductif qui la caractérise. Sa méthode semble ainsi en faire un processus hors de tout soupçon, à même de proposer des démonstrations infaillibles. Comment alors expliquer qu’elle se trouve parfois mise en contradiction, et que des vérités jusqu’à présent indubitables deviennent subitement douteuses ? Comment expliquer par ailleurs que sa méthode n’a pas nécessairement de prise sur tout, et ne parvient pas toujours à dire le vrai ? Dans quelle mesure et jusqu’à quel point la science a-t-elle réponse à tout ?
Nous tenterons, dans un premier temps, de montrer que la science ne peut avoir de réponse que sur les objets qu’elle est capable d’expérimenter, et qu’ainsi elle ne peut avoir autorité sur toutes les questions. Nous en viendrons toutefois à montrer que la méthode scientifique est hypothétiquement compétente à propos de toutes choses, quand bien même elle n’est pas actuellement effective, ce qui revient à dire que la science répond en puissance à toute question. Il nous faudra toutefois, en dernier ressort, mettre en doute cette affirmation, pour montrer que la science n’a de pertinence et de pouvoir de réponse qu’à la condition de souscrire aux axiomes qui la fondent.
[...]
Plan proposé
Partie 1
a
La science est un procédé d’interrogation du réel qui soumet les hypothèses qu’elle formule à des expériences. Elle ne peut donc concevoir ses hypothèses qu’en fonction d’expériences possibles.
b
Ces expériences doivent en outre être appliquées (et pas seulement pensées), ce qui revient à dire que la science ne peut trouver des réponses réelles qu’à des questions qui portent sur le réel, et sont susceptibles d’être réellement vérifiées.
c
Enfin, les réponses de la science n’ont de pertinence qu’à la condition de pouvoir être reproduites et elles-mêmes appliquées dans d’autres contextes. Les réponses scientifiques sont donc conditionnées à un usage et une reproductibilité qui en déterminent la pertinence.
Partie 2
a
Les limites précédentes sont toutefois factuelles et circonstancielles : elles ne limitent la science que temporairement, et n’invalident pas le processus de découverte. La méthode scientifique répond donc hypothétiquement à toutes les questions qu’elle peut se poser, dès l’instant où elle parviendra à les traduire dans son langage.
b
En outre, si la science ne répond pas provisoirement à certaines questions, ces lacunes sont en fait des forces, puisqu’elles guident le développement futur des connaissances scientifiques. Les zones d’ombre de la science sont donc des zones frontières permettant à la science de mieux comprendre sa propre logique de développement.
c
Enfin, la science a d’autant mieux réponse à toutes les questions qu’elle parvient à les poser indépendamment de tout autre domaine de questionnement. La science est en effet un système différencié, dont la diversité d’objets (les différentes sciences) sature l’horizon des choses possibles, à tel point que la science n’a pas besoin d’autre chose qu’elle-même pour faire sens.
Partie 3 : Désirer l’impossible pour le rendre réel.
a
Cette toute-puissance de la science est cependant problématique, puisqu’elle suppose que l’on souscrive aux axiomes qui fondent les critères de la vérité scientifique. La science impose en effet une méthode et une forme aux réponses qu’elle produit, méthode et forme qui sont étrangères à la diversité de perception du réel.
b
La science se trouve donc être un ensemble logique qui impose un grille de lecture aux choses qu’elle analyse, et la validité des réponses qu’elle fournit dépend de la façon dont son langage est accessible et accepté par ceux qui l’écoutent. Quelles que soient les sciences, leurs réponses sont donc relatives.
c
Enfin, si la science refuse de se prononcer sur les choses qu’elle n’expérimente pas, tout en prétendant être hypothétiquement valable pour toute chose, il reste probable que certaines choses ne peuvent ou ne pourront jamais faire l’objet d’expériences, comme par exemple les sentiments ou ce qui est au-dessus des forces de l’homme. La science ne pourra donc jamais avoir de réponses à ce sujet, ce qui manifeste fondamentalement la limite de son pouvoir.