Annales BAC 2009 - Peut-on être sûr d’avoir raison ?

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L'analyse du professeur


Dans La leçon, Ionesco s’amuse à imaginer la figure d’un professeur dogmatique, qui enseigne les choses les plus absurdes à son élève, et s’exaspère toujours plus de son incapacité à singer une apparence de logique se situant aux confins de la cruauté du maître. La méchanceté du précepteur n’a d’égal que sa mauvaise foi, et la dérision de Ionesco est comme un avertissement à tout détenteur d’un savoir des risques impliqués par la maîtrise exclusive de ce savoir. Se demander si l’on peut être sûr d’avoir raison semble en ce sens conduire à la position que dénonce de façon à peine voilée Ionesco : la position du savoir et de la logique. Il s’agit en effet de s’interroger sur les moyens dont disposerait celui qui voudrait défendre son point de vue de façon honnête, en cherchant à fonder ultimement ce dont il est convaincu. Être sûr d’avoir raison, c’est en ce sens se trouver dans une position paradoxale, où le détenteur d’un savoir serait à même de valider par lui-même des connaissances dont il a par ailleurs bien conscience de ne pas être le fondement ultime (puisqu’il cherche justement à s’en assurer). Comment produire une certitude sur fond radical d’incertitude ? Nous nous attacherons tout d’abord à montrer qu’il est particulièrement difficile d’être sûr de ne pas se tromper puisque l’attitude de celui qui se pose une telle question est par définition une attitude de doute ruineuse pour l’empire des certitudes. Nous en viendrons toutefois à comprendre que le doute peut fonder utilement la certitude, dans la mesure toutefois où il permet de développer méthodiquement une visée du vrai. En ce sens, il apparaît qu’il ne peut y avoir de certitude du vrai qu’à la condition d’une certitude d’une absence de faux, c’est-à-dire qu’être sûr de ne pas se tromper veut moins dire être sûr d’avoir raison, qu’être sûr de ne pas avoir tort.

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Plan proposé

Partie 1 : La volonté de certitude, une manifestation du doute.

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Pour être sûr de ne pas se tromper, il faut se trouver dans une situation où le doute est devenu impossible : il faut donc être sûr de soi, au point d’être capable de justifier que ce que l’on sait repose sur une meilleure explication que tout autre.

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Une telle explication suppose donc que celui qui sait est mieux à même que tout autre de savoir. Or un tel savoir semble par définition inaccessible à un homme limité dans son pouvoir de connaissance, c’est-à-dire à un être frappé de finitude.

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Dès lors, l’attitude de celui qui ne doute pas est incompatible avec l’attitude de celui qui veut être sûr de ne pas se tromper. Ce dernier est en effet dans une attitude de doute réel par lequel il cherche à parfaire sa connaissance et à s’assurer de son fondement absolu, non pas tant pour en faire montre à autrui que pour en être sûr pour lui-même.

Partie 2 : Le doute, un moyen de construire ses certitudes.

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L’attitude du doute n’est toutefois pas nécessairement fermée à la possibilité de la certitude, dans la mesure où elle n’est pas nécessairement bornée au stade du doute. Le doute peut en effet apparaître comme propédeutique à une enquête scientifique, puisqu’il permet de faire table rase des préjugés et des opinions encombrant l’enquête rationnelle.

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En ce sens, le doute est un guide de la vigilance critique au moyen duquel celui qui a appris son usage se trouve doté d’une prudence cardinale dans le processus de construction des vérités scientifiques. Le doute a en ce sens, au-delà de sa vertu herméneutique, une vertu morale.

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Dès lors, si le doute permet de s’assurer du vrai, il devient l’auxiliaire indispensable de la raison, non seulement parce qu’il lui fournit les moyens de penser de façon critique le déroulement de ses propres arguments, et qu’il lui donne les outils pour atteindre une assurance morale essentielle, mais également et surtout puisqu’il permet ainsi de s’inscrire dans une logique de la preuve et de la démonstration résistant aux discours spécieux ou sophistiques.

Partie 3 : La volonté d’être sûr, le chemin de la raison.

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Être sûr d’avoir raison, c’est donc moins être sûr de soi qu’être sûr de pouvoir défendre ce que l’on sait contre d’autres interprétations du réel que l’on s’efforce de connaître. La raison devient ainsi une méthode d’élaboration des raisons, c’est-à-dire un pouvoir démonstratif.

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La certitude d’avoir raison procède ainsi paradoxalement du doute, à la condition toutefois que la vérité à laquelle parvient celui qui doute soit moins une vérité définitive ou arrêtée qu’une étape dans la construction du vrai. La certitude ne s’obtient alors que comme une étape elle-même provisoire correspondant à la possibilité de prouver qu’en l’état actuel de la connaissance, l’hypothèse avancée est hors de doute.

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La relativité de la certitude est ainsi moins un défaut qu’une promesse, c’est-à-dire que celui qui ne doute pas d’avoir raison est celui qui sait qu’il possède une vérité à même de résister aux différentes réfutations disponibles à l’instant même où il avance une connaissance précise.