Annales BAC 2009 - Le langage trahit-il la pensée ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


Les lapsus révélateurs sont souvent cités en exemple d’actes de langage lors desquels la parole révélerait une pensée qu’un interlocuteur voudrait dissimuler. Est-il pourtant aussi simple de décoder le rapport entre langage et pensée ? Entre outil et mécanisme jouissant d’une certaine autonomie, le langage semble ainsi être un auxiliaire problématique de la pensée. Il est à cet égard essentiel de se demander si le langage trahit la pensée. La capacité à formuler au moyen de mots la pensée dénature-t-elle le processus de conception des idées ? La trahison du langage pourrait ainsi révéler l’incapacité qu’aurait la pensée à se contrôler, tout autant que la force et l’efficacité du langage, dont la logique se révèlerait plus adaptée à aux finalités de la pensée que les ressources propres de cette dernière. À cet égard, le statut du langage semble paradoxal : faut-il le considérer comme un simple outil qui pourrait prêter main forte aux idées produites par la pensée, ou faut-il au contraire le considérer comme un fondement ou une racine de la pensée, au coeur de la nature de la pensée dont il incarnerait la forme même ? Nous nous efforcerons d’abord de montrer que le langage est un outil au service de la pensée, et qu’il n’y a pas de raison qu’il la trahisse. Nous en viendrons toutefois à constater que cette vision instrumentale du langage est trop restrictive, et ne prend pas véritablement la mesure des ressources du langage, et notamment le fait que le langage échappe au contrôle de la conscience et semble ainsi dépasser la pensée. Nous montrerons alors que le langage peut effectivement trahir la pensée parce qu’il partage avec la pensée un pouvoir de formulation des idées.

[...]

Plan proposé

Partie 1 : Le langage, un outil au service de la traduction de la pensée.

a

Le langage est un procédé de formulation de la pensée qui a pour caractéristique de construire des significations à l’aide de mots. Il est donc un outil de la pensée qui a pour fonction essentielle de substituer fidèlement des mots à des idées.

b

Le langage peut donc d’autant moins trahir la pensée qu’il cherche à se construire selon les inflexions de la pensée, et doit ainsi s’adapter à la manière dont la pensée se formule et se corrige.

c

Le langage n’a enfin pas pour but d’échapper à la pensée, puisqu’il n’a pas vraiment d’autonomie indépendamment des pensées qui lui donnent du sens. Un langage qui ne serait pas considéré comme le serviteur de la pensée confine ainsi à l’absurde.

Partie 2 : Le langage, un procédé de trahison de la pensée.

a

Il se trouve néanmoins que le langage apparaît parfois comme limité par rapport à la pensée, puisqu’il ne parvient pas toujours à traduire les idées, et ne se montre pas toujours adéquat à la finesse des idées.

b

Il semble en outre que le langage est parfois responsable d’un décalage de significations, et trahit véritablement la pensée, puisqu’il ne parvient pas à l’exprimer de façon adéquate et finit par exprimer autre chose que ce qu’il devait.

c

Enfin, le langage jouit d’une autonomie problématique par rapport à la pensée, puisqu’il peut être manipulé, transformé, décontextualisé, à tel point que l’interprétation du langage en fait un outil particulièrement propice à la trahison de la pensée.

Partie 3 : Le langage, forme de la pensée.

a

Considérer que le langage trahit la pensée revient cependant ici à considérer que la pensée se résume à l’intention consciente de celui qui veut formuler quelque chose. Or la pensée n’est justement pas limitée à la représentation consciente d’un individu, puisque la conscience est elle-même seconde par rapport à la formulation de la pensée.

b

En ce sens, le langage partage avec la pensée les moyens de sa construction, ce qui revient à dire que les mots ne sont pas simplement des outils traduisant des idées, mais sont au coeur du processus de construction des idées. Le langage peut donc être considéré comme la forme naturelle de la pensée, forme par laquelle la pensée vient à l’existence.

c

Une telle vision du langage permet alors de considérer que le langage ne peut trahir la pensée, mais la traduit, la sert et la révèle. Les différences de langages ne sont donc pas des différences manifestes des faiblesses de la formulation par les mots, mais sont au contraire des forces inhérentes à la richesse des mots et des idées.