L'analyse du professeur
L’importance prise par les lois mémorielles dans l’actualité politique française, et les débats récents autour de la question de savoir qui a autorité sur la connaissance du passé, contribuent à rendre saillant le problème de l’objectivité historique. Source de problème, au moins depuis les recherches en épistémologie historique de L’école des annales, l’histoire apparaît ainsi comme une science éminemment humaine, dont la fragilité est sans cesse renforcée par les acteurs de sa construction.
À cet égard, se demander si l’objectivité de l’histoire suppose l’impartialité de l’historien invite à s’interroger sur l’importance du facteur humain dans l’enquête du passé. Si l’histoire est la science qui a pour but de réfléchir à la manière de construire un récit objectif des évènements passés, il semblerait que l’impartialité de l’historien découle naturellement de l’objectivité du récit, puisque seul un regard critique et neutre peut espérer atteindre une forme de récit de ce qui a été, indépendant des surinterprétations subjectives biaisant la réalité passée. Cependant, une telle exigence est peut-être trop forte, dans la mesure où elle conduirait alors à faire de l’histoire une science de dieux ou de surhommes, capables de s’extraire de ce qu’ils sont et de dépasser la mesure de la finitude humaine, pour atteindre l’idéal de l’objet passé, sans détour ni médiation. L’enjeu de cette réflexion sera donc de savoir si cette exigence ne conduit pas tout simplement à renoncer à toute histoire, et à se méprendre ainsi sur l’objet même de l’histoire.
Nous tâcherons tout d’abord de montrer que l’histoire se doit d’être une science objective, et qu’elle ne le peut qu’en supposant l’impartialité de celui qui oeuvre à sa construction. Nous en viendrons toutefois à constater que cette définition de l’objectivité historique fait de l’histoire une science idéale, hors de la portée de l’homme, et méconnaît ainsi le labeur de l’historien, dont la partialité nécessaire se trouve compensée par l’exercice critique constant. Il nous faudra alors, en dernière instance, tenter de montrer que l’histoire ne peut être ainsi jugée à l’aune de l’objectivité, ce qui nous conduira à penser que la partialité de l’historien est la condition paradoxale d’une objectivité redéfinie de l’histoire.
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Plan proposé
Partie 1 : L’impartialité de l’historien comme condition de l’objectivité de l’histoire.
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L’impartialité est la garantie d’une absence de préjugés, condition essentielle et première du travail de l’historien, qui formule des hypothèses et insuffle des directions à sa recherche en fonction des idées qu’il possède initialement.
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L’impartialité est en outre la garantie d’un travail honnête, au cours duquel par exemple l’historien sera en mesure de proposer un débat contradictoire entre les sources et les inteprétations.
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L’impartialité est enfin la condition essentielle du progrès scientifique et de l’argumentation objective, puisque c’est le souci d’impartialité qui permet de hiérarchiser le degré de fiabilité des thèses construites, et de livrer à l’intelligence l’état et la teneur des problèmes restants à penser.
Partie 2 : L’impartialité impossible : l’objectivité, entre idéal et réalité.
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L’impartialité semble remise en question par le positionnement de l’historien, dont les modalités de fonctionnement et les convictions, en même temps que l’éducation, la langue ou encore, et plus généralement, les contextes culturels, font la pensée. Dès lors, rien ne permet d’espérer qu’un historien puisse être impartial, quand bien même il le voudrait.
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L’impartialité se trouve également profondément contrariée lorsqu’elle porte sur l’objet passé : comment espérer retrouver le discours de ce qui a disparu, et n’est parfois pas même vivant dans des documents ? Les sources, leur insuffisance ou leur absence, sont ainsi au coeur du problème de l’impartialité, puisque le degré d’information disponible est un des facteurs essentiels du jugement de celui qui doit construire le discours de l’histoire.
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Enfin, l’impartialité de l’historien achève d’être un mythe, dès l’instant où la possibilité que son discours soit entendu dépend du contexte de sa réception. L’objectivité de l’histoire n’est en ce sens pas du tout subordonnée à l’impartialité de l’historien, puisque cette impartialité peut instantanément être balayée par les présupposés, préventions, ou erreurs de ceux qui sont portés à en faire usage.
Partie 3 : Redéfinir l’objectivité de l’histoire.
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Il paraît alors nécessaire de déconnecter impartialité de l’historien et objectivité de l’histoire, non seulement parce que la première est une fiction, mais également parce que la fragilité de la seconde ne peut se contenter des insuffisances de la première. En ce sens, résoudre le (faux) problème de l’impartialité conduit à accepter que le discours de l’histoire es toujours un discours partial, dont la finalité ne peut être objective qu’à cette condition.
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Il en découle alors que l’objectivité de l’histoire dépend moins d’un fantasme d’impartialité que d’un souci de la critique des certitudes, et d’une forme d’éthique scientifique du travail de l’histoire. L’objectivité dépend en ce sens de la volonté de prendre conscience des limites de ses propres thèses.
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Enfin, l’objectivité devient alors moins une réalité qu’une exigence idéale, à l’aune de laquelle l’histoire apparaît moins comme une science exacte que comme un art du discours prenant le passé pour objet. Cela ne veut pas dire que l’histoire est un domaine purement relatif à celui qui le construit, mais plutôt que l’histoire est une discipline inquiète, qui se construit à la mesure de preuves critiques, mais ne peut jamais s’en satisfaire.