Annales BAC 2008 - Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible ?

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L'analyse du professeur


La découverte de la génétique semble avoir donné à l’homme le pouvoir de maîtriser de plus en plus le vivant. La confiance croissante qui semblait découler des évolutions de la médecine au siècle dernier est toutefois de nos jours en recul, comme en attestent les différentes versions du principe de précaution mises en place législativement ces dernières années dans différents pays de par le monde. Serait-ce à dire que l’homme se méfie de la connaissance qu’il possède du vivant ? Ne peut-on supposer qu’il se méfie simplement des utilisations techniques de la connaissance du vivant ? Comment expliquer alors les tentatives de moratoire sur la recherche génétique, comme l’appelait de ses vœux un des plus grands scientifiques français en matière de génétique, le Professeur Testard ? La question qui se pose, en creux de ce débat, est celle de savoir si une connaissance scientifique du vivant est réellement possible. Question surprenante de prime abord, dans la mesure où le développement des connaissances scientifiques semble indiquer à l’évidence que cette connaissance existe dores et déjà. Question néanmoins récurrente, puisque la connaissance scientifique du vivant semble repousser toujours plus l’horizon de notre ignorance, et nous placer dans une situation où toute nouvelle connaissance découvre peut-être bien plus la complexité de ce qui est à connaître que la vérité de ce qui est connu. Le problème qui se trouve ici interrogé est celui de savoir si la connaissance scientifique du vivant n’est pas en fait un artefact pratique, qui permet d’agir à partir de modèles de compréhension, sans être réellement une connaissance objective de ce qu’est le vivant par lui-même. Nous nous efforcerons tout d’abord de montrer que la connaissance scientifique du vivant est effective depuis que les hommes se sont donné les moyens d’expérimenter les hypothèses qu’ils formulaient, et qu’ils ont ainsi pu agir en connaissance de cause sur le réel (I). Nous serons toutefois conduit à la réserve en remarquant que cette connaissance scientifique a moins pour objet de dire ce qu’est le vivant dans toute sa singularité, que de l’assigner à un modèle théorique abstrait qui cherche à isoler des propriétés et des constantes, plus qu’à saisir la nature des choses (II). Nous en viendrons dès lors à reconnaître que la connaissance scientifique du vivant relève d’un idéal utopique, qui ne peut avoir de pertinence qu’à la condition de ne pas considérer cette connaissance comme une connaissance pleinement objective, mais comme une connaissance utile et pratique (III).

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Plan proposé

Partie 1

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La connaissance scientifique du vivant se distingue des autres connaissances en raison de sa méthode hypothéticodéductive et expérimentale. Il s’agit de formuler des hypothèses, que vérifieront des expériences, et qui permettront de dégager des principes de compréhension du vivant. À la différence de la connaissance scientifique de ce qui n’est pas animé, la connaissance du vivant pose toutefois un double problème : celui de la complexité des organismes vivants, et celui de leur animation.

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Ces deux problèmes conduisent à remarquer que le vivant est mouvant, c’est-à-dire que les êtres vivants ne se laissent jamais véritablement enfermer dans une définition simple. La difficulté d’une connaissance du vivant est donc de trouver un moyen de décrire à partir de principes vrais et stables une réalité qui ne l’est pas fondamentalement.

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Ce pari de la connaissance du vivant semble avoir été en grande partie gagné par le progrès des sciences du vivant, comme la biologie ou la médecine par exemple, en raison de la façon dont ces disciplines sont parvenues à assigner des causes stables à la diversité pratique (comme l’illustre au plus haut point par exemple la découverte du génome).

Partie 2

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Il serait toutefois excessif de supposer que la connaissance scientifique du vivant est achevée. Tout au contraire, si cette connaissance s’appuie sur un certain nombre de réussites théoriques ou pratiques, elle n’en reste pas moins fragile, approximative voir déficiente.

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Ces fragilités ponctuelles indiquent que la connaissance du vivant n’est peut-être pas véritablement encore une connaissance scientifique, puisqu’elle n’a pas réussi à tirer de l’expérience des principes fondamentaux indubitables, à partir desquels identifier objectivement les éléments essentiels du vivant.

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En outre, quand bien même elle le pourrait, se poserait alors la question de savoir quelle valeur octroyer à cette connaissance. Si la particularité du vivant est d’être peuplé d’organismes singuliers, qui développent chacun en propre un équilibre spécifique, la connaissance scientifique que nous pouvons avoir du vivant n’est qu’une connaissance générale, souvent statistique, et rarement particulière.

Partie 3

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Cette insuffisance de la connaissance objective du vivant suffit-elle à lui dénier le qualificatif de scientifique ? Il apparaît que la connaissance du vivant est une connaissance hypothétique qui reste scientifique dans sa méthode, sans posséder toutefois une pertinence parfaite, tant les conclusions qu’elle atteint sont singulièrement limitées.

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Si la méthode reste scientifique, mais que le résultat ne l’est pas pleinement, puisqu’il dépend ultimement d’un approfondissement impossible de nos moyens d’investigation, il reste toutefois qu’il serait absurde de refuser la possibilité d’une connaissance scientifique idéale du vivant. La conscience humaine a en effet pour propriété non seulement d’assigner le vivant à des critères scientifiques d’intelligibilité, mais elle postule en outre que le vivant est pleinement objectivable, c’est-à-dire pourrait pleinement correspondre à une rationalité scientifique.

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Dès lors, loin de refuser la possibilité d’une connaissance scientifique du vivant, il faut plutôt en réaffirmer la possibilité ultime. En ce sens, la connaissance scientifique du vivant est nécessaire en pratique, sans être pourtant objective dans les faits : elle est une condition de possibilité de notre rapport utilitaire au monde dans lequel nous vivons.