Annales BAC 2008 - Est-il plus facile de connaître autrui que de se connaître soi-même ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


Docteur Jekyll et Mister Hyde raconte le dédoublement mystérieux de la personnalité d’un médecin qui subit les effets dévastateurs d’un médicament ayant pris le contrôle de son équilibre physiologique. Versant dans l’outrance de ce dédoublement, la fiction semble participer d’un univers fantastique dont chacun serait naturellement préservé, si tant est qu’un médicament ne modifie pas son équilibre physiologique. Pourtant, ce qui a pu faire le succès de cette fiction est la fascination exercée par le comportement immoral de Hyde, qui devient le paradigme de celui qui assume les pulsions les plus noires de l’âme de Jekyll, au point que plus personne ne peut reconnaître le bon docteur. Se pose ici la question du rapport entre la connaissance d’autrui et la connaissance de soi-même. On suppose habituellement que chaque individu a une bonne connaissance de soi, puisqu’il a conscience intimement de ce qu’il est. Pourtant, comme dans le cas de Jekyll, il n’est pas certain que tout individu se rende parfaitement compte des pulsions qui l’animent, et c’est souvent sous le coup du jugement d’autrui que l’on en vient à réaliser ce que nous sommes. Un paradoxe apparaît ainsi, puisque l’intimité du rapport à soi paraît garantir la précision du regard sur soi, tout en risquant de ne pas permettre de posséder un recul critique nécessaire pour être lucide à propos de soi. Dans quelle mesure la conscience individuelle garantit-elle la possibilité d’une distance d’analyse à l’égard de soi-même ? Nous nous attacherons tout d’abord à montrer qu’il découle de la définition de la conscience de soi qu’il serait plus facile de se connaître soi-même que de connaître autrui (I). Néanmoins, nous apercevrons les limites de cette perspective, en mettant au jour le rôle de l’inconscient et de la mauvaise foi, qui sont autant de manières de désigner la difficulté d’une distance critique à l’égard de l’intime (II). Nous en viendrons alors à comprendre qu’il n’est pas pour autant plus facile de connaître autrui que de se connaître soi-même, mais que ces connaissances portent plutôt sur des objets différents (III).

[...]

Plan proposé

Partie 1

a

La connaissance qu’un homme possède des choses dépend de sa capacité à traduire intellectuellement (en idées) ce qu’il voit et sent du monde qui l’entoure et de lui-même. La connaissance d’autrui comme la connaissance des choses dépendent donc de la conscience individuelle, c’est-à-dire d’un point de vue situé dans un sujet qui s’ouvre à un monde.

b

Il découle de ces définitions que la connaissance de soi est plus facile que la connaissance d’autrui, dans la mesure où l’individu est au plus proche de son corps et de son esprit, et semble dès lors le mieux place pour identifier qui il est.

c

Par ailleurs, dans une perspective chronologique, il apparaît évident de confirmer cette thèse, puisque chacun « s’accompagne » tout au long de son existence, c’est-à-dire ne « se quitte » jamais, alors que le rapport à autrui est fait de rencontres et de séparations qui interrompent naturellement la connaissance que l’on peut prendre de l’autre.

Partie 2

a

Il semble toutefois que le rapport qu’un individu a à lui-même est plus complexe qu’il n’y paraît, puisque la conscience qu’il a des motivations de ses actes est une conscience qui n’est pas toujours lucide. L’hypothèse de l’inconscient prend, à cet égard, toute sa signification, puisqu’elle est une manière de montrer qu’un individu n’a pas nécessairement et systématiquement la capacité de réfléchir honnêtement à ce qu’il est.

b

En outre, dans le développement de sa conscience intelligente, un individu passe, de l’enfance à l’âge adulte, puis à la vieillesse, par des étapes d’évolution qui ne sont pas toutes également lucides. De la formation d’un jugement critique de l’enfant sur soi à la dégradation des facultés d’analyse de soi lors du vieillissement, il semble alors qu’autrui à une meilleur connaissance du moi que le moi lui-même.

c

Enfin, un individu peut avoir tendance à ne pas être honnête avec soi-même, et aux yeux des autres. Dès lors, sans que cela soi nécessairement totalement inconscient, il peut être de mauvaise foi, et être moins rigoureux dans la connaissance qu’il s’avoue de lui-même, que dans la connaissance qu’il construit d’autrui.

Partie 3

a

Il ne faut pas pourtant affirmer que la connaissance d’autrui est plus facile que la connaissance de soi. Le degré de facilité de ces deux connaissances n’est comparable qu’à la condition qu’elles soient du même type. Or nous venons de voir que la lucidité à l’égard de soi et des autres dépendaient de circonstances particulières, qui sont difficilement comparables.

b

Cette différence entre les modalités de la connaissance de soi et de celle des autres implique alors qu’il est impossible de comparer abstraitement les deux types de connaissances. Il faut bien plutôt distinguer la connaissance objective de la connaissance subjective. La première est une connaissance désincarnée, abstraite, qui prend pour objet quelque chose d’extérieur et le soumet aux catégories de la raison. À l’inverse, la seconde est une connaissance incarnée, concrète, qui prend pour objet l’intime, et ne s’exprime pas forcément en termes conceptuels et rationnels.

c

Appliquée aux rapports de connaissance de soi et des autres, cette distinction nous permet de dire que la connaissance subjective de soi est plus facile que celle des autres, alors que réciproquement la connaissance objective des autre est plus facile que celle de soi.