Annales BAC 2006 - Une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ?

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L'analyse du professeur


Dans les Lettres Persanes, Montesquieu manie l’ironie avec talent pour montrer à quel point le regard d’un individu baigné d’une culture différente de la culture occidentale peut être surpris par les modes de vie des parisiens, empesés à ses yeux par des conventions et des codes inutiles voire vains. Au-delà de l’amusement suscité par la lecture des différentes lettres échangées par Rica et Iben, l’ouvrage ne manque pas de poser la question du relativisme culturel, et résonne aujourd’hui comme prophétique, à l’heure où les différences de pratiques culturelles interrogent profondément nos valeurs et nos façons de penser. La question « Une culture peut-elle être porteuse de valeurs universelles ? » se pose donc avec acuité pour toute société, dans la mesure où la culture fédère les individus, bien plus profondément d’ailleurs que les règles juridiques ou les modes passagères. Cette question a ceci de problématique qu’il semble bien que les valeurs et les codes culturels font l’objet de convictions qui dépassent largement l’assentiment passager. Il en va en effet, dans une culture, d’un ensemble de pratiques et de valeurs construites dans l’histoire et adoptées par des groupes de personnes, cet ensemble déterminant une identité à laquelle adhère profondément chacun. Dès lors, par sa culture un individu donne un sens à son existence, à l’exclusion ou tout au moins à la différence des autres cultures qu’il pourrait choisir. Il a ainsi le sentiment que son mode d’existence est celui qui lui convient le mieux, ce qui consiste implicitement pour lui à accorder une valeur supérieure à son choix, sans toutefois nécessairement le conduire à renier le choix des autres. Un paradoxe apparaît ainsi. Si un individu est conduit à faire un tel choix, c’est qu’il accorde une universalité à son adhésion, au sens où tout être humain y adhérerait de la sorte s’il en comprenait exactement les enjeux. Mais cette universalité postulée reste accompagnée de réserves, puisque non seulement plusieurs cultures existent dans le temps mais surtout toute personne raisonnable ne peut prétendre absolument que ses propres valeurs devraient s’imposer aux autres. Dès lors, si une culture est réellement porteuse de valeurs universelles, elle est forcément exclusive de valeurs différentes, ce qui implique que toutes les cultures sont composées des mêmes valeurs. Cela revient-il à penser que toutes les cultures sont les mêmes, ou au contraire que certaines cultures ne sont pas vraiment des cultures ? À l’inverse, si les cultures ne sont pas porteuses de valeurs universelles, comment expliquer qu’elles déterminent de tels processus d’identification personnelle ? Nous nous attacherons à montrer que la culture se construit par une adhésion qui n’implique pas nécessairement d’universalité mais un simple choix axiologique dont la portée se limite à ceux qui optent pour lui. Néanmoins, il nous faudra montrer les difficultés d’un tel point de vue, puisque l’identité qui se construit par le choix des pratiques culturelles se veut universalisable, c’est-à-dire dépasse la subjectivité de celui qui y adhère pour créer une identité commune à un groupe humain. Nous tenterons alors, en dernière instance, de montrer que ce processus d’universalisation interne à la construction culturelle, sans être par essence exclusif de tout autre système culturel, définit cependant des valeurs et des pratiques composant particulièrement chacune des cultures, et condamne ainsi toute portée culturelle universelle.

[...]

Plan proposé

Partie 1

a

Il paraît tout d’abord que l’adhésion à une culture dépend de conditions factuelles, au premier rang desquelles l’éducation, que ne choisit pas positivement l’individu mais auxquelles il est soumis en raison de sa naissance dans une société et dans un contexte familial.

b

Dès lors, la culture à laquelle il adhère est une culture particulière, qui dépend elle-même d’une histoire et de rapports construits qui n’ont d’autre vocation que d’exprimer des habitudes prises ensemble par un ou des groupes humains.

c

En ce sens, vouloir donner à une culture particulière une vocation universelle en prétendant que les valeurs construites sont valables au-delà du contexte de leur élaboration revient à faire des choix subjectifs des choix objectifs et éternels, ce qui est un postulat contradictoire avec le processus même de formation de la culture.

Partie 2

a

Pourtant, si les valeurs sont inculquées à un individu en formation, elles font l’objet d’une analyse critique qui progresse au fur et à mesure que l’individu devient responsable et maître de ses choix, ce qui signifie que l’individu voit ses pratiques culturelles comme des pratiques qui impliquent plus que lui-même et valent pour plusieurs hommes.

b

À cet égard, la culture de l’individu est traversée par un processus d’universalisation qui l’arrache progressivement à la particularité d’un choix initial pour devenir un système identitaire ayant une portée universelle (au sens où elle peut s’appliquer à tout homme).

c

Dès lors, l’universalité de la culture n’est pas seulement une possibilité mais est une vocation de tout édifice culturel qui s’affirme par exclusion d’autres choix possibles, ces choix n’étant en effet pas acceptés parce qu’ils seraient jugés moins bons ou moins conformes à l’idéal de vie de tout homme en tant qu’homme.

Partie 3

a

Le problème de ce processus d’universalisation est toutefois de s’accompagner d’une exclusion des valeurs composant les autres cultures. Il y aurait, en ce sens, une contradiction entre l’universalité postulée des valeurs de la culture et le fait que cette universalité rejette les valeurs choisies par d’autres personnes, dans le cadre d’autres cultures.

b

Le problème qui se pose alors est celui de savoir dans quelle mesure cela condamne l’universalité culturelle en soi. Les valeurs voulues universelles peuvent elles être réellement universelles si elles ne se retrouvent pas dans d’autres cultures et conduisent même au rejet des autres cultures ? Faut-il alors distinguer entre certaines valeurs fondamentales et universelles, qui se retrouveraient dans toutes les cultures, et des valeurs plus particulières à chacune des cultures, et qui expliqueraient différences et rejets d’une culture à une autre ?.

c

Cette solution semble contestable, dans la mesure où elle méconnaît fondamentalement l’ancrage historique de toute culture. Vouloir postuler une universalité de la culture, c’est vouloir penser que la culture peut s’affranchir des choix subjectifs dont elle procède pour valoir pour toute personne. En ce sens, la culture ne peut être porteuse de valeurs universelles parce qu’elle désigne justement un processus de différenciation des hommes qui a pour vocation de permettre à chacun de s’identifier à des pratiques particulières.