Annales BAC 2006 - Faut-il préférer le bonheur à la vérité ?

Partager sur Facebook Partager sur Twitter


L'analyse du professeur


L’adage « heureux les simples d’esprit » semble avertir celui qui l’entend que la connaissance correspond souvent à la perte d’une innocence. Se trouve ainsi placés en opposition le bien-être de celui qui ignore et les difficultés de celui qui sait. Ne faut-il en effet pas préférer une illusion sans repères ni connaissance du vrai, comme par exemple lorsqu’un médecin cache la vérité à un patient condamné par une maladie, plutôt que de savoir et désespérer devant une vérité qui affronte l’individu à une réalité inconfortable à laquelle il doit dès lors se confronter sans pouvoir la changer ? La question « faut-il préférer le bonheur à la vérité ? » s’avère en ce sens très problématique puisqu’elle propose de voir les rapports entre bonheur et vérité sur le mode d’une contradiction qui ne va pas de soi. Peut-on en effet considérer qu’un état de bien-être durable de l’homme passe nécessairement par l’absence d’une adéquation entre ce qu’il pense et ce dont il a conscience d’une part, et ce qui est réel et existe objectivement d’autre part ? Une telle contradiction est problématique dans la mesure où elle suppose que l’analyse subjective de soi s’écarte par principe d’une évaluation objective et universalisable qui rende compte réellement de la situation d’un homme. Il s’agira ainsi tout d’abord de comprendre en quel sens l’avis que peut émettre un homme sur lui-même peut s’écarter du vrai et conditionner le bonheur à un manque de sincérité et d’objectivité. Nous nous efforcerons toutefois de contester la pertinence d’un tel constat pour montrer que le bonheur dépend tout au contraire d’une lucidité existentielle qui ne passe pas tant pas le contentement béat que par l’honnêteté vis-à-vis de soi-même. Plus profondément enfin, nous tenterons de montrer que cette opposition entre bonheur et vérité est elle-même réductrice, puisque la vérité n’est, au yeux d’un individu, jamais une donnée objective que l’on préfèrerait au contentement, mais doit être plutôt vue comme une conviction subjective qui participe à la construction du bonheur.

[...]

Plan proposé

Partie 1

a

Il semble tout d’abord que le bonheur d’un homme passe par le fait que les évènements qu’il vit sont conformes aux attentes qu’il a. En ce sens, l’idée qu’il se fait de lui-même le conduit souvent à tronquer la vérité en l’interprétant à sa faveur,

b

voire à en méconnaître l’existence même pour se convaincre qu’aucun événement ne contredit ses attentes et ne le met en péril.

c

Dès lors, consciemment ou inconsciemment, tout homme préfère son bonheur à la vérité, puisqu’il s’arrange toujours avec les faits ou cherche systématiquement à transformer la réalité passée, présente ou future pour la conformer à ses désirs et se rassurer.

Partie 2

a

Toutefois, cette attitude de fuite ne résiste pas souvent à l’épreuve des faits. Si l’on définit le bonheur comme un état de contentement durable, il semble alors nécessaire de reconnaître qu’il ne peut être obtenu qu’en s’efforçant de confronter ses désirs à la réalité, pour mieux les adapter.

b

À cet égard, la confrontation à la vérité est souvent l’occasion de réévaluer ses souhaits et de mieux prendre conscience des facteurs objectifs sur lesquels de fonde un bonheur authentique.

c

Plus profondément même, il semble nécessaire de préférer la vérité au bonheur, puisque seule une vérité est durable et n’oblige pas l’individu à se mentir à soi-même : c’est à cette unique condition qu’un homme pourra, même confronté à une vérité difficile à accepter, être en paix avec soi-même.

Partie 3

a

La position défendue semble cependant confronter celui qui s’efforce d’être heureux à un devoir exigeant qui risque, dans les faits, de l’obliger à un principe de réalité souvent décevant. En outre, il n’est pas certain qu’il soit toujours possible d’atteindre une vision objective et parfaitement « vraie » de soi, tant la vérité de chacun n’est propre qu’à la façon dont il l’interprète. En ce sens, il est peut-être passablement tronqué de présenter comme indépassable une alternative radicale entre bonheur et vérité, tant la vérité dépend elle-même d’une interprétation subjective et ne peut faire nécessairement l’objet d’un accord universel ou même universalisable parmi les hommes.

b

Plus profondément, il apparaît que la vérité est le fruit d’une rationalisation subjective qui dépend de la façon dont chacun pense son existence et s’adapte aux conditions de sa vie. Autrement dit, le bonheur dépend peut-être moins du fait d’accepter au non un vrai qui serait censé exister en soi, mais se trouverait plutôt dans la capacité à trouver un sens subjectif satisfaisant, un contentement durable fait de la satisfaction d’atteindre un équilibre entre satisfaction et désir d’un mieux.

c

Dès lors, loin de préférer bonheur ou vérité, les deux points de vue sont complémentaires et font l’objet d’un effort moral sans cesse renouvelé de celui qui apprend tant à contrôler la dictature de ses désirs et les modalités de leur authentique réalisation.