Annales BAC 2005 - Qu’attendons-nous de la technique ?

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L'analyse du professeur


Lorsque la centrale nucléaire de Tchernobyl a explosé, le monde a comme réalisé subitement que l’énergie nucléaire, dans ce qu’elle pouvait a priori avoir de moins dangereux puisque son utilisation était au service du confort des hommes, était pourtant mortifère. S’est alors engagé symboliquement à partir de cette date, une réflexion publique profonde sur les enjeux de la technique, habituellement considérée comme l’indispensable auxiliaire du développement des sociétés humaines. La mythologie grecque ne contait-elle pas déjà les vertus du vol du feu par Prométhée ? Le feu était en effet, outre le moyen qui permettrait aux hommes de se réunir et de construire une sociabilité, le moyen de forger des armes et des outils, le moyen d’assurer la survie et le confort d’une existence humaine naturellement fragile, en comparaison notamment des atouts des autres espèces animales. À la question « qu’attendons-nous de la technique ? », il semblerait donc normal de répondre que nous en attendons tout, puisque nous en en dépendons presque essentiellement et qu’il serait absurde de nier une telle dépendance. Néanmoins, si la technique peut être vue comme une application concrète des découvertes scientifiques qui vise à la construction des moyens du développement des sociétés humaines, il apparaît que la technique n’est qu’un moyen au service de l’intelligence humaine et qu’elle ne pose pas par elle-même de fins, que son développement n’induit pas des buts particuliers. En ce sens, la question des attentes que peut susciter la technique dépend de la façon de la concevoir, c’est-à-dire des finalités qu’on lui attribue en fonction de l’idée que l’homme peut s’en faire. Le problème que pose ce sujet est donc celui de savoir jusqu’à quel point la technique, en tant que simple moyen au service de l’intelligence, se substitue aux insuffisances naturelles des hommes. Autrement dit, ne faut-il pas se dépendre du mythe d’une technique toute puissante qui ne pourra jamais fournir à l’homme que des moyens d’atteindre des fins dont l’exigence et la portée ne dépend pas de la technique elle-même mais de l’intelligence qui les pose ? Attendre tout de la technique ne revient-il pas à croire que la technique va guider par elle-même le destin d’une humanité alors qu’elle n’est qu’un instrument qui peut causer autant de dégâts qu’elle peut offrir de solutions ? Nous nous efforcerons tout d’abord de montrer que le développement de la technique, en tant qu’application des découvertes scientifiques, permet d’accroître le pouvoir de l’homme sur son monde et sur lui-même, de telle sorte que la technique s’est progressivement imposée comme l’auxiliaire indispensable de résolution de l’ensemble des problèmes que pouvait rencontrer l’humanité dans son mode d’existence. Cette analyse nous engagera alors à constater que l’omniprésence de la technique et sa puissance ont progressivement conditionné l’homme à penser que la technique n’était pas simplement un moyen à son service mais devenait une fin en soi, à même de proposer à l’homme un nouveau destin et de faire de lui un être qu’il n’avait jamais imaginé pouvoir devenir. Cette confiance s’est néanmoins rapidement révélée excessive, dans la mesure où ont été expérimentés les multiples risques liés à un développement technique sans contrôle. Nous tâcherons donc, en dernière instance, de montrer que les attentes suscitées par la technique, pour légitimes qu’elles peuvent apparaître, n’en sont pas moins dangereuses, puisqu’elles dispensent souvent l’homme d’une réflexion approfondie sur le sens à donner aux modalités de son développement.

[...]

Plan proposé

Partie 1

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Il est tout d’abord possible de considérer la technique comme l’auxiliaire indispensable de l’existence humaine et, en ce sens, comme le moyen de satisfaire toutes les attentes des hommes. La technique est en effet non seulement une application concrète des connaissances scientifiques qui permet d’exploiter au mieux le réel pour le plier aux besoins premiers de survie de l’homme,

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mais elle est également un moyen de créer des objets et des outils qui facilitent l’action de l’homme et lui donnent les moyens de dépasser ses limites naturelles.

c

Enfin, la technique permet de transformer le monde, de telle sorte que l’homme peut ainsi vivre dans un monde artificiel parfaitement à la disposition de ses désirs.

Partie 2

a

Les attentes que suscite la technique ne sont donc pas simplement des attentes naturelles, au sens où la création des objets techniques viendrait pallier les insuffisances des moyens naturels de l’homme. La technique devient le lieu d’une espérance d’un monde non seulement meilleur mais autre,

b

ce qui a pour conséquence de faire de la technique une fin en soi qui n’est pas soumise aux attentes que peut avoir naturellement l’homme mais qui crée des attentes et des besoins nouveaux.

c

Dès lors, il devient impossible de répondre à la question du type d’attentes que peut susciter la technique, dans la mesure où ces attentes deviennent infinies, non seulement en quantité mais également en qualité.

Partie 3

a

Cette vision providentialiste de la technique semble toutefois problématique, dans la mesure où ce nouveau Dieu ne semble pas porteur de finalités propres. Il est en effet nécessaire de constater que la technique peut être asservie aux fins les plus condamnables, et que l’homme peut sinon en attendre, tout au moins en craindre le pire,

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ce qui implique que les attentes de l’homme à son égard procèdent souvent d’illusions qui consistent à croire que la technique est un miracle constant qui corrigera d’elle-même les échecs qui en ponctuent le développement effréné.

c

Dès lors, il serait dangereux de tout attendre d’une technique qui, loin de proposer un monde meilleur à l’homme, n’est et ne reste finalement qu’un auxiliaire de l’intelligence humaine et risque de produire de tromper les attentes optimistes des hommes.